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Correspondances familiales et intimes (1937-1944)

Dominique et Jean-Toussaint Desanti
Correspondances familiales et intimes
(1937-1944)

Dans son « cahier » tenu en 1931 et 19533, Dominique Desanti évoquait sa manie de conserver les vieilles lettres.
Grâce à cette manie nous avons le privilège de lire quelques unes des lettres écrites avant son mariage avec Touki, et d’autres des années d’occupation, surtout des cartes postales adressées à ses parents.
Témoignage sur la vie quotidienne des intellectuels dans le Paris occupé , du rôle des colis des solidarités familiales et amicales, témoignage plus personnel de ses relations avec ses parents, et de sa correspondance avec Touky.
Un paquet de lettres conservées de son père et une de sa mère éclairent indirectement leur vie pendant l’occupation, puis à Clermont, Vichy et Royat.

Dans les dernières années de sa vie, Dominique Desanti a fait de plus en plus mystère sur ses origines, sa date de naissance, et ses relations avec sa mère. Ses amies les plus anciennes, Colette Chauffard et Simone Debout n’étaient pas dupes, mais n’étaient pas toujours crues.
Les documents, et notamment des lettres d’Annie Desanti (le prénom alors usuel de notre Dominique) et de ses correspondants familiaux, père, mère et mari, permettent de clarifier une situation que Dominique Desanti s’est plu à romancer.....

L’acte de mariage d’Anne Persky avec Jean-Toussaint Desanti, est formel : Anne Persky est née à Moscou le 31 août 1914, de Jacques Persky et d’Ira Zyrkine, mariés.
Ira, Jacques Persky l' appelle « Irène » (francisation de son prénom russe Ira),
prénom auquel Annie et sa mère préfèrent dans leurs échanges le petit nom « Jesseca »
Elle surnomme son père "Elephant"
et se surnomme elle-même "Cotique"

En haut d’une lettre du 17 février 1942, Jesseca signale : « Jour de notre mariage, 25 de ce mois ». Et le 28 février, « avec retard », Annie adresse à « M. et Mme Persky, hôtel Westminster, promenade des Anglais, Nice », ses félicitations pour l’anniversaire de leur mariage,. Cet anniversaire signalé pourrait bien être le trentième, à vérifier c'est-à-dire conclu le 25 février 1912, soit deux ans et demi avant la naissance d’Anne.

De 1937 à la débâcle

Lettre d’Annie à Touky, 5 août 1937
Papier à en tête du Café-Bar-Brasserie « Chez Triadou-Haussmann vite et bien »
Paris le 5 août 1937
Mon amour chéri,
merci des photos et de ta lettre. J’ai été très rassurée en voyant le regard de ta mère, qui ressemble au tien. Ces derniers jours ont été bien pénibles pour moi ; tout semblait s’acharner, même les choses les plus basses, à me rendre la vie difficile (tu avais entre parenthèses le plus grand tort de te moquer de Boutang : ah les philosophes ! Ah le j’menfichisme ! Mais rassure toi à ce point de vue l’ordre est entièrement rétabli.
Maintenant le problème se pose autrement : mes parents mettent comme condition à leur consentement que je ne te revoye pas jusqu’en Octobre afin que nous puissions tous les deux réfléchir, afin que nous soyons sûrs. Evidemment j’objecte qu’il est inconcevable de nous marier sans que ta mère me connaisse ; ils se sont ancrés dans leur sotte prétention, et ne veulent plus en bouger. Il leur semble sans doute entrevoir une bouée de sauvetage ; ils comptent sur le temps ; ils disent qu’il m’est déjà arrivé de me tromper …
Très difficile de se défendre. Quel argument donner. L’atmosphère est houleuse, je suis excédée, et de plus en plus invivable
Non, mon amour, je ne suis à coup sûr pas « gentille ».
Quand on a longtemps vécu « sur ses nerfs » comme on dit, il survient une heure où la corde casse : et ma corde se réduit à un fil. A la fin, épuisée et surexcitée : tu imagines l’état ?
Pardon de te raconter çà ; il est hideux de se plaindre, alors que nous avons toute la vie devant nous, et un avenir à construire : mais je ne peux plus rien supporter. Le vase est plein. Probablement en va-t-il de même pour toi.
Que faire, ne pas te voir durant trois mois ? C’est possible ; n’importe quoi l’est. Il faut seulement savoir dans quel état on arrive au bout de l’épreuve, et si le résultat vaut l’effort.
Donne-moi ton avis sur la conduite à tenir.
Chéri, je pense avec bonheur que nous serons bientôt « ensemble » ; alors les séparations momentanées importent peu. Si cela n’arrive pas, il me faudra bien changer mon fusil d’épaule ; avec du temps, j’y parviendrai ; ce ne sera pas très facile. Je te répète que c’est à toi de décider, et que je ne veux pas d’un parti pris dans un élan ; je deviens de plus en plus intellectualiste (un peu parce qu’une femme amoureuse est un caméléon, beaucoup parce que j’avais des prédispositions plus ou moins conscientes).
Assez sur tout çà ; tu dois mal me reconnaître cette semaine : je ne me reconnais moi-même que très mal. Baudruche dégonflée, tu sais : ne t’inquiète pas ; ça se regonflera vite.
Je lis Brunsch avec beaucoup d’enthousiasme ; j’attends d’être plus calme pour t’en parler (surtout ne te peins pas les choses trop en noir ; je connais ta tendance à dramatiser : comme tu l’as dit un jour : « ça ne meurt pas si vite les petits chats. »
Sais-tu que la Corse m’a tout à fait conquise ? Et pour de bon ? Je pense qu’elle vous intoxique, comme la montagne : une fois pris, impossible de l’oublier.
Je sens que c’est inlassablement beau. Je sens aussi que cette beauté doit finir par faire partie de la vie intérieure, il faudra bien que tu la déduises, l’Esthétique, mon aimé : tu verras. C’est beaucoup moins de luxe que tu ne le crois. Te rappelles-tu m’avoir dit que rien n’était luxe, que les choses s’intimisent ?
Il est l’heure de partir, pour moi, mon amour chéri, Oui, je t’aime, chéri, et tu le sais … Baghéra

P.S. Dis-moi s’il faut que j’écrive à ta mère, et dans quel sens ? N’oublie pas qu’il faudra prévenir Bouglé. N’oublie pas la Sociologie.

Fragment de lettre août 1940
Exp. T. Desanti
16e secttion CVMA
Montpellier
À Madame A. Desanti
France Presse 100 rue Réaumur Paris
26 mai 1940 ; juin 1940

Palavas-les-flôts. le 18 août 1940
Annie- mon-amour-chat-Touky-blanc.
Je suis installé à Palavas avec la folle enfant. Mais comme je reviens à Montpellier deux ou trois fois par semaine, et que j’ai passé à la sac … consigne de garder le courrier –
[continue] à m’écrire 40 cours Gambetta
Ici toujours le même…

Vers le 10 septembre notre rendez-vous à Marseille. Le Barbal pourrait profiter de son séjour à Clermont pour aller au ministère se renseigner d’une manière exacte sur la date de la rentrée ? Ne pas oublier aussi que je ne peux faire ma demande que si j’ai mon extrait de naissance, mes diplômes et une pièce certifiant que j’étais élève de l’Ecole et admissible à l’agrégation. Je compte aussi sur vous pour me transmettre tout cela de Paris ou me l’envoyer.
Comment vas-tu ? animal en Hermine adorable bête blanche …

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Années d’occupation

Carte postale de Maurice Garçon à M. J. Persky, 29 Mai 1941.
Expéditeur : Maurice Garçon, 10 rue de l’Eperon, Paris VI
Destinataire : M. J. Persky, Hôtel de Paris rue Colbert Marseille Westminster Nice. A.M.

Paris le 29 mai 1941
Cher Monsieur, je suis bien content après si longtemps de recevoir de vos nouvelles. Je n’ai pas de nouvelles de Georges Kaz dont les affaires restent en suspens. Peut-être irais-je à Marseille le mois prochain. Je vous préviendrai Croyez en mes meilleurs sentiments
Maurice Garçon.

Carte postale d’Alain Riche à M. J. Persky, 12 juin 1941.
Expéditeur : Capitaine Alain Riche, [prisonnierr en Allemagne] Nice. A.M.
Destinataire : M. J. Persky, Hôtel de Paris Marseille
Remerciements pré »imprimé pour un colis.

Carte postale de Maurice Garçon à M. J. Persky, 23 juillet 1941.
Expéditeur : Maurice Garçon, 10 rue de l’Eperon, Paris VI
Destinataire : M. J. Persky, Hôtel de Paris Marseille

Cher Monsieur, la chambre des avoués m’a transmis le dossier relatif à la société Compas. Je me suis mis en rapport ave le directeur et le chef comptable. Tout est en ordre et il n’y a rien à faire pour le moment. Croyez à mes meilleurs sentiments
Maurice Garçon

Note de service du secrétariat d’état à l’Instruction publique
9 septembre 1941
M. Desanti, admissible à l’agrégation de philosophie, délégué rectoral au lycée Rollin, est mis à disposition de M le Recteur de l’Académie de Paris pour assurer la suppléance de M. Duret, professeur de philosophie au lycée Charlemagne, provisoirement appelé à un autre emploi, et dont le poste non pourvu en 1940-1941 est rétabli.

Carte postale de Jacques Persky à Jean Desanti le 8 décembre 1941.
Expéditeur : M. Jacquet Hôtel de Paris rue Colbert Marseille
Monsieur Jean Desanti 5, impasse Royer-Collard Paris (5e, )

Marseille le 8 décembre 1941.
Mon cher Jean, c’est à toi en personne que j’adresse ces lignes. Crois moi que sur le fond du chagrin que m’a causé l’insuccès du concours une très profonde compassion avec toi m’a saisi à l’idée de la déception imméritée et de la douleur que tu avais éprouvée en apprenant les résultats.
Mon petit Jean, il ne faut pas se décourager. Garde entière la confiance dans l’avenir. Je sais que tu as consciencieusement travaillé et que tu as fait de ton mieux. Je suis sûr qu’avec du travail tu réussiras l’année prochaine. Il arrive dans la vie de chaque être humain de passages difficiles. Il faut posséder une ferme volonté de vaincre, et alors on domine les difficultés. Il n’existe pas d’obstacle qui ne cède à la ténacité réfléchie. Reprends ta sérénité et tout ira bien la prochaine fois. Je t’embrasse bien fort.
M. Jacquet

Carte postale d’Annie Desanti à ses parents, 21 décembre 1941.
Expéditeur: Mr. Thibault, 4.b rue de l’Université Paris ;
Destinataire : Mr.et Mme Persky, Hôtel Westminster, Nice

21. XII. 41
Cher Eléphant et Jesseca, quatre ans déjà et quatre ans seulement. Tant d’évènements et pourtant l’impression que la vie passe trop vite. Même en ce moment, où il y a pourtant si peu de motifs à gaieté, nous sommes pourtant joyeux en pensant à la bonne initiative que nous avons prise le 21.XII 1937 de très heureuse mémoire. Moi qui croyais que des mariés de quatre ans formaient un vieux ménage qui n’a plus rien à se dire, je m’aperçois que cela peut encore aller. Nous voulions festoyer toute la journée, mais je suis coincée par ma traduction en retard, aussi nous contentons nous de déjeuner au restaurant chinois et de sortir à partir de 5 h. Nous vous embrassons tous les deux avec beaucoup d’affection.
A
Cher éléphant et Jesseca nous sommes tous deux au restaurant chinois pour fêter l’anniversaire. Le chat a le même costume … il est tout mignon avec une toque de fourrure bleue. Je vous embrasse
Jean

Carte postale d’Annie Desanti à son père, 23 décembre 1941.
Expéditeur: Mr. Thibault, 4.b rue de l’Université Paris)
Destinataire : Mr. Persky, Hôtel de Paris 11, rue Colbert Marseille

23. XII. 41
Reçu aujourd’hui carte du 18 et 2 colis. Merci infiniment, que de folies ! Pourquoi avoir encore acheté des chocolats ? Nous nous en sommes heureusement tout à fait déshabitué et n’y pensons plus jamais. En tout cas les petites boites bleues ont été accueillies avec un enthousiasme délirant. La poudre est merveilleuse, mais j’en ai encore que Jesseca m’a donné cet été. Vous nous gâtez vraiment trop. Pourquoi vous priver de vos pâtes pour nous ? Nous en avons tout autant et il n’y a aucune raison pour que vous nous envoyiez votre ration. D’autant plus que le ravitaillement est, paraît-il, moins bien à Marseille qu’ici. De même nous trouvons encore du dentifrice. Encore merci de nous avoir tant gâté. Je travaille toujours avec ferveur à mon histoire de Moyen âge … mais plutôt 12 h de traduction que 8 h de bureau ! On a quand même plus de cœur à l’ouvrage. Nous réveillonnerons pour Noël chez une amie qui a des enfants, et nous faisons un arbre de Noël … C’est vraiment amusant. Bonnes fêtes et baisers de tous deux T et A

Carte postale d’Annie Desanti à son père, 29 décembre 1941.
Expéditeur: Mr. Thibault, 4.b rue de l’Université Paris.)
Destinataire : Mr. Persky, Hôtel de Paris 11, rue Colbert Marseille

29. XII. 41
Mon cher Eléphant,
Bien reçu ta carte au sujet des dattes. C’est en effet fort décevant mais les colis étaient néanmoins, je t’assure, tout à fait assez garnis. Dans une autre carte tu me parlais d’un autre colis envoyé au début du mois. S’il ne faisait pas partie du lot contenant : poudre, houppe, dentifrice et bonbons et pâtes je ne l’ai jamais reçu.
Les papiers sont envoyés à M. Riche aujourd’hui même. Cette carte te parviendra sans doute au seuil de 42 Je vous souhaite à Jessica comme à toi une année meilleure que celle que nous venons tous de passer. D’abord il faut de la santé, puis votre installation dans la maison d’Eugène qui seule me tranquillisera sur votre avenir. Je sais qu’en ce moment il est difficile de faire bâtir … mais s’il y a tout de même une possibilité, je vous en supplie, n’hésitez pas, ce sera de l’argent bien placé. Enfin je souhaite pour tous une petite éclaircie. A ce propos comment va l’affaire de René et qu’est devenu l’avocat ami de Mme Rhéaume ? Je voudrais beaucoup le savoir.
Nous allons fort bien, travaillons, avons fait un réveillon pantagruélique et en avons un autre en perspective le 31. Cela nous a permis de liquider des boites réservées depuis l’an dernier. Si tu pouvais envoyer des bonbons et autre chose à Ajaccio, ça me ferait plaisir. De mon côté j’enverrai un petit souvenir. Nous vous embrassons tous deux. A.

Carte postale d’Annie Desanti à son père, 17 janvier 1942.
Expéditeur: Mr. Thibault, 4.b rue de l’Université Paris)
Destinataire : Mr. Et Mme Persky, Hôtel de Paris 11, rue Colbert Marseille

17. I. 42.
Eh bien tu peux dire à M. Léléphant qu’il est quelqu’un de bien déraisonnable ! Touky et sa femme ont reçu aujourd’hui un colis contenant de telles merveilles pour chacun d’eux, qu’ils en sont restés éblouis ! Mais pourquoi a-t-il fait ça ? Annie avait encore une paire absolument neuve et jamais mise qu’elle conservait pour les jours sombres ; ça lui en fait deux maintenant. Je t’assure que c’est presque trop ?. Touky est enchanté. D’autant plus qu’il avait donné ce matin la pelisse et le smoking à transformer. Il va être dandy paré des plumes (non du poil) éléphantesque. Vraiment c’est trop. Je supplie Léléphant de s’arrêter !
Nous allons tous deux fort bien. Je vais avoir une autre traduction, comme je l’ai déjà dit. En outre j’apprends l’italien (te l’ai-je dit ?) Comment va Jesseca ? Elle devrait bien nous écrire un mot –
Paris est sous la neige fondante ; j’ai mis mes bottines de patinage ainsi on est botté. Avons vu les Pauls, lui ne va toujours pas mieux, Leur avons conseillé avec un peu d’insistance d’aller un peu au soleil. Il finira pas tomber vraiment malade. Albert est je crois à peu près perdu. Alain est allé le voir, mais il a été très mal reçu.
Baisers A.
Eléphant fou-gentil. Chat noir va être fourré. Je vous embrasse fort Jean

Carte postale d’Annie Desanti à son père, 18 janvier 1942.
Expéditeur: Mr. Thibault, 4.b rue de l’Université Paris)
Destinataire : Mr. Persky, Hôtel de Paris 11, rue Colbert Marseille

18. I. 42.
Aujourd‘hui anniversaire éléphantesque et les chats pensent beaucoup à leur éléphant. D’ailleurs, pour un éléphant, il est très jeune, à peine arrivé à maturité … voilà l’avantage d’être le roi de la jungle. Donc : « beaucoup d’heureux retours de ce jour » comme auraient dit Alec et Rouny. Beaucoup de santé et toujours la même vigueur, et aussi si possible cette heureuse médiocrité d’or ( !) dont parlaient toujours les anciens … Je t’ai dit qu’Anny et Touky avaient reçu des chaussures ? Ils les ont mis dans un tiroir avec beaucoup de papier par-dessus et attendent d’un pied (c’est bien le cas de le dire) ferme que leurs contemporains marchent pieds nus. Nous sommes assis au coin de la rue Soufflot et de la place du Luxembourg, bien au chaud et regardons les passants qui se hâtent avec un sentiment un peu sadique de confort … Cette carte arrivera en retard ; j’en avais écrit une autre, mais ai oublié de la mettre à la boite … « mieux vaut tard » … Baisers
Cotique
Le chat noir embrasse son éléphant apprivoisé et lui tire la trompe encore toute jeune
Jean

Carte postale d’Annie Desanti à son père, 24 janvier 1942.
Expéditeur: Mle Drouet 8 place des Vosges Paris.
Destinataire : Mr. Persky, Hôtel de Paris 11, rue Colbert Marseille, [en surcharge] Hôtel Westminster, Nice, A. M.

24. I. 42
C’est à ton érudition, qu’il est fait appel aujourd’hui. Un éditeur ayant l’intention de faire paraître la « Chronique familiale » d’Avzacoff l’a proposé à une traductrice de mes amies. Elle est venue me demander quelques renseignements : dates de l’auteur (XIXe siècle, 1ère partie sans doute ?), difficultés du style, longueur de l’oeuvre etc. bien entendu j’avais sur tout cela des lueurs plutôt vagues, mais je me suis dit que pour ton esprit encyclopédique ce renseignement aurait une simplicité extrême. Réponds-moi par retour de courrier et merci d’avance.
Pour le reste tout va bien. Le cadeau de Jean lui va bien. Je n’ai pas encore essayé le mien. Mle Cotique s’est lancé dans les élégances : elle fait transformer son manteau de poulain en une veste et un manchon ; elle se dit que l’argent valant peu, mieux vaut faire faire des objets. Nous avons été elle et moi pour retirer son manteau de Guanaco chez le fourreur du Fg Montmartre ; dans cette énorme maison ils avaient à peine quelques manteau de mauvais lapin … Il fait froid aujourd’hui, mais très beau, un vrai temps d’hiver. Tendresses. A.
Merci pour le colis corse.

Carte postale d’Annie Desanti à son père, 28 janvier 1942.
Expéditeur: Mle Drouet 8 place des Vosges Paris)
Destinataire : Mr. Persky, Hôtel de Paris 11, rue Colbert Marseille, [en surcharge] Hôtel Westminster à Nice.

28. I. 42
M. Jachoteau désire probablement que Mle Cotique s’adonne au commerce pour commencer ainsi à lui constituer un petit fonds ? Mais cette fois cette honorable demoiselle proteste et renvoie les présents d’Antarxès trouvant la chaussure trop pointue pour son pied... Sans doute plusieurs de mes cartes se sont-elles perdues en route, car j’ai écrit très régulièrement ces temps-ci. Merci infiniment pour les anchois et les bonbons multicolores : nous adorons les pâtes de fruits aussi bien que les bonbons jaunes et bleus, et aussi les bruns –tête-de nègre, tout ceci permet un vrai festin. Ma belle mère nous a donné des choses merveilleuses : farine de châtaigne, sucre, mandarines, figues et même chocolat, aussi pourrons-nous enfin rendre les invitations dont nous sommes constamment accablés en faisant, chez des amis, une réception à nos frais. Jamais je n’ai tant mangé de ma vie que cet hiver : nous avons beaucoup d’amis dont les parents habitent la campagne et dès que les colis agricoles arrivent nous sommes de la fête, Touky étant le cuisinier chef … Autrement les nouvelles sont bonnes. Il parait que Boutang devient de plus en plus personna grata à Vichy … c’est assez amusant. Mille tendresses. Melle Cotique a l’intention d’envoyer à J. les soquettes qu’il lui a données et qui sont un peu voyantes.
Baisers A.

Carte postale d’Annie Desanti à son père, 4 février 1942.
Expéditeur: M. Thibault, 4.b rue de l’Université Paris.
Destinataire : Mr. Persky, Hôtel Westminster, Nice, Alpes Mmes

Le 4. II. 42.
Hier Annie a expédié un colis à M. Léléphant. Elle lui a renvoyé les chaussures brunes qui 1°) lui sont trop petites et surtout trop étroites et 2°) sont ridicules. Tu comprends que si une jeune femme peut circuler n’importe où en chaussures de patinage ou de ski (c’est la grande mode d’hiver) elle ne peut pas mettre des espèces de petites chaussures 1920 qu’elle semble avoir héritées d’une grand tante économe et prévoyante. D’ailleurs dis à l’éléphant que la petite a vraiment tout ce qui lui faut en chaussures et en autres choses. Qu’il lui envoie des bonbons, bleus, ou même des pâtes de fruits, mais qu’il ne fasse plus de folies aussi coûteuses qu’inutiles. Il te remettra un stylomine destiné à favoriser ta didactique habitude d’annoter tes lectures : le bleu servira à l’approbation sans réserve, le vert au doute, le rouge à la critique, et le noir à écrire des remarques pertinentes. J’ai pensé que cela t’amuserait. Quant au poudrier que doit recevoir Jesseca, c’est un modèle de la rue de la Paix et qui n’a pu faute de métal être vulgarisé, c’est donc presque une création originale. Nous allons fort bien. La notice biographique demandée à M. Jacquet m’est parvenue et m’a découragé. Mille affectueuses pensées et baisers A.
Baisers Jean
P.S. Touky corrige des copies ce qui explique la couleur de sa signature.

Carte postale d’Annie Desanti à son père, 18 février 1942.
Expéditeur: M. A Thibault, 4.b rue de l’université Paris)
Destinataire : Mr. Persky, Hôtel Westminster, Nice

18. II. 42.
Il y a bien longtemps que je ne vous ai écrit. Tout va bien chez nous. Nous continuons à travailler, manger, et dormir, sous prétexte de « conserver nos forces ». J’ai encore entendu dire que le ravitaillement était très mauvais à Nice et cela m’inquiète pour vous. Quant à nous toutes les questions matérielles continuent d’être satisfaisantes, et n’étaient la guerre et les circonstances, je pourrai dire que nous sommes réellement très heureux. J’ai rencontré par hasard la sœur d’Irène Lambroschini. Ses nouvelles sont moins bonnes. Je crois qu’elle n’est pas très heureuse en ménage, son mari manquant totalement d’énergie. Irène non plus, car le sien est, parait-il, très paresseux et ils n’ont pas d’argent. Elle aurait voulu que leurs parents se retirent dans le Midi, mais la mère ne veut pas quitter son petit fils, qui serait, dit-elle, abandonné sans elle. Quant au vieux il a, parait-il, beaucoup vieilli et perdu un peu la mémoire.
Bientôt M. Léléphant recevra un petit cendrier en agate qu’il aimait tant, et une vieille photo de Melle Cotique, prise à Clermont, immédiatement après leur voyage à Vichy. Elle n’en avait pas de + récente. Mille tendresses de tous 2.
A.
Le pardessus éléphantesque me va très bien. baisers. Jean

Carte d’Annie Desanti à ses parents, 20 février 1942.
Expéditeur : Mle. Drouet, 8 place des Vosges Paris.)
Destinataire : Mr. et Mme Persky, Hôtel Westminster, Promenade des Anglais, NICE

20. II. 42.
Merci infiniment des bonnes et jolies choses. Encore une fois c’est trop. Je vous en prie, arrêtez. Cotique n’a vraiment aucun besoin de gants ni de chaussures : ce que vous lui avez donné cet été est encore tout neuf. Les fruits confits sont délicieux. Pourquoi vous servir chez la Marquise ? Il me semble que c’est tout aussi bon ailleurs : vous savez, comme toujours, on paye la marque, bien inutilement. Ne nous envoyez + que des bonbons bleus, et, si vous voulez, des pâtes de fruits : c’est + que suffisant. Le seul rationnement dont nous souffrions est celui du tabac, pour le reste nous ne sommes réellement pas à plaindre.
J’ai encore vu hier Hélène, la sœur d’Irène : je crois que les 2 sœurs sont très malheureuses en ménage et ça me donne le sentiment 1 peu inconfortable du monsieur qui a gagné le gros lot. Que voulez-vous avec le physique d’Irène, quand on court après les beaux garçons, on est presque obligé de tomber sur des gigolos. Quant à Hélène ... les calculs ne tombent parfois pas juste. C’est triste, mais fréquent. Nous travaillons tous deux tranquillement. Touky a vraiment terriblement à faire cette année. Le lycée, 12 heures de leçons par semaine, et la préparation du concours. Il est 1 chat très occupé.
Tendresses. A.

Lettre de Ira/Irène Jesseca Persky adressée à sa fille Annie (en russe)

Nice le 22 février [1942], Jour de notre mariage,
Le 25 de ce mois
Ma chérie,
Je viens de recevoir ta lettre et je me hâte de te répondre. Si tu savais quelle joie m’apportent tes lettres, tu m’écrirais plus souvent. Je t’écris en russe, au moins comme ça tu ne pourras pas me critiquer. J’espère que tu arriveras à me lire, j’écris en grosses lettres exprès.
Quelques mots à mon sujet. Les bruits qui courent sont tout à fait vrais, mais qu’est-ce que ça change ? Si j’ai la possibilité de rester ici, je resterai ici. J’en ai pris l’habitude depuis trois ans et il y a le climat. Il n’y a pas grand chose à manger, mais le temps et le soleil embellissent tout.
J’ai des relations avec des gens bien et je ne pense pas me retrouver seule. J’ai des amis ici qui s’occupent un peu de moi. Et où veut-on que j’aille ? Dans un endroit reculé ? Il est difficile de trouver une solution ! On va certainement en trouver pour moi! Je reste là et j’attends…
En ce qui concerne Jacques, il ne faut pas s’inquiéter autant. Il y a assez d’occasions pour se faire du souci. Malheureusement, sa maladie va l’obliger à rester ici encore au moins trois mois. Les médecins m’ont dit qu’il n’était pas question de le transférer ou que ce soit avant cela. Odette est très gentille avec moi, elle fait tout ce qu’on lui demande et cela semble bénéfique. Hier, j’ai été invitée pour le thé. Il y avait le prince d’Orléans, son beau-frère, (son frère) et beaucoup de gens de la noblesse française - en un mot, tout ce que compte la noblesse. Et j’ai passé deux heures très agréables. Il y avait une chanteuse célèbre – qui a chanté – et pendant deux heures, il semblait que la paix régnait partout. C’est très rare. La réalité est moins réconfortante. Demain, je vais chez monsieur et madame Huet, ce sera moins gai, mais ils sont amicaux envers moi.
Dans l’ensemble, je mène une vie assez mélancolique. Je suis très souvent seule et triste… mais que faire? Je ne suis pas la seule à être dans cette situation. Dans cette catastrophe mondiale que nous vivons, je ne peux pas être une exception.
Comme je serais heureuse si tu venais, tu peux facilement l’imaginer, mais je ne veux pas t’influencer et séparer Jean – que j’aime beaucoup comme tu le sais - de sa femme et de son confort. Trouve-toi même, selon toi, la réponse à cette question. Tu seras toujours la bienvenue. Je suis heureuse que tout s’arrange pour vous et que vous vous aimiez. C’est mieux que tout ce que je pouvais désirer. Car que me reste-t-il d’autre dans la vie, que mes enfants ! Pour moi, ma vie est passée… j’avais rêvé de la terminer dans la paix. Hélas! Enfin, on verra bien. Avec Jacques, on a passé trois semaines très “agitées”, mais en fin de compte tout s’est plus ou moins arrangé. Il a bonne mine et est maintenant plein d’énergie. L’hôpital n’est pas formidable, assez rudimentaire. Et la directrice est un “Shylock” en matière d’avarice. Mais ce n’est rien. Le plus important, c’est qu’il ne fasse pas de rechute. Il ne fait pas très attention. Il marche et oublie qu’il est malade. Il faut dire qu’il en a assez, mais quand même… A l’hôtel, rien à signaler. Marguerite habite à Juan-les-Pins, Louky s’occupe du petit, et Millot (Chillot?) est mon avoué, comme avant. Hélène et sa mère sont à Cannes – c’est le statu quo –. Voilà toutes les nouvelles. Si tu venais, je serais ravie. Nous avons un temps d’été. Bien sûr le voyage coûte cher. Je vous embrasse fort, toi et Jean, et je vous aime tous les deux. Ecris et dis-moi si tu as pu déchiffrer ma lettre.
Je vous aime tous les deux,
Jesseca.
Dis-moi de quelles affaires tu as besoin?

Carte d’Annie Desanti à ses parents (cosignée par Jean-Toussaint), 28 février 1942.
Expéditeur : M. A Thibault, 41 rue de l’université Paris)
Destinataire : Mr. et Mme Persky, Hôtel Westminster, Promenade des Anglais, Nice

28. II. 42.
D’abord, félicitations en retard pour votre anniversaire de mariage : je vous avais écrit 1 carte, mais ai oublié de la faire partir… Votre M. C. individu sans foi ni loi, dont je voudrais bien savoir les noms et adresse, a téléphoné 1 jour qu’il viendrait, mais n’est jamais venu. Je lui pardonne encore le pyjama à la rigueur, mais pas les bonbons, surtout s’ils étaient bleus.
Vu encore la sœur d’Irène, qui vous fait ses amitiés. Elle va nous emmener dans 1 cabaret où chante Kimara, le chanteur tzigane qui me plait tant.
Les chats ont trouvé un appartement meublé et vont y emménager incessamment : 71 rue du Cardinal Lemoine dans le quartier. Cela reviendra évidemment + cher que l’hôtel, mais il y a : 2 pièces n’en faisant qu’1 (séparées par une baie sans porte), 1 pièce donnant sur 1 jardin, 1 salle de bain avec chauffe-bains au gaz, dont, par conséquent, on peut se servir, 1 cuisine. Le chauffage central au gaz (avec chaudière dans la cuisine et radiateurs dans toutes les pièces) leur permettra, malgré le rationnement, de se chauffer un peu en mars, ce qui sera sans doute défendu dans les hôtels.
Mille baisers. N’oubliez pas l’adresse de C.
A.
Baisers du noir JeanT

Carte postale d’Annie Desanti à son père, 29 mars 1942.
Expéditeur : M. Antoine Thibault, 44 rue de l’Université Paris)
Destinataire : Mr J. Persky, Hôtel Westminster, Nice

Comment allez-vous tous deux ? Bientôt vous recevrez des nouvelles d’Annie par une de ses amies partie dans sa famille pour Pâques. Elle vous racontera la situation exacte avec Alain. Autrement nous allons très bien. Ton dernier colis de fruits confits a dû beaucoup plaire aux employés de la SNCF : il en est arrivé environ 1/8. N’envoie jamais des choses insuffisamment enveloppées. N’envoie pas non + de bonbons jaunes de la maison au sergent, car ils n’ont aucun goût : tous ces bonbons de couleur miel sont de mauvaise fabrication maintenant. Les bleus et les verts sont bien meilleurs. Cotique a reçu aujourd’hui de la confiture délicieuse de M. Jacquet. Mais j’ai bien peur que ce soit la ration mensuelle de ce charmant homme. Et j’ai demandé à Cotique de ne + rien lui demander. Car il écrit toujours que la petite meurt de faim et se prive pour elle, alors qu’elle n’est pas à plaindre, à mon point de vue. En tout cas cette confiture est un vrai rêve, un régal extraordinaire. Nous sommes merveilleusement bien dans notre appartement : Touky fait la cuisine, nous recevons beaucoup. Jeudi nous partirons pour 8 jours à la campagne, dans la Sarthe, pour que le chat noir se retape. Baisers à tous deux et merci de vos gâteries. A.

Lettre d’Annie Desanti à ses parents, le 1er juin 42
Expéditeur : Mle Bérénice Fezensac, 71 rue St-Dominique, Paris
Destinataire : M. et Mme Persky Hôtel Westminster, Promenade des anglais Nice

1er juin 42.
Nous venons de recevoir à la fois le cadeau envoyé par Marguerite et celui que Denise nous a transmis : ils sont arrivés juste à point car nous n’avions plus de bonbons bleus, et le concours commence le 9. Nous avons naturellement été très heureux. Justement Natacha S. née Z. est venue faire la connaissance de Touky et j’ai pu la recevoir comme il faut. Demain nous avons également des invités. Mais je vous en prie, dites à tous nos amis d’être raisonnables et de ne pas dépenser tant d’argent pour nous, car nous n’en avons pas besoin. Très ennuyé pour Simone, elle est capable de se laisser mourir de faim sans que personne ne le sache, c’est tout à fait dans son caractère. Insistez pour l’aider comme venant de ma part, et dites moi combien vous lui avez avancé, je vous l’enverrai immédiatement. Merci et baisers.
Bérénice.

Lettre d’Annie Desanti à son père , le 3 juin 1942
Expéditeur : Mle Bérénice Fezensac, 71 rue St-Dominique, Paris
Destinataire : Mr. Persky Hôtel Westminster, Promenade des anglais Nice

3 juin [42]
Le bouquin médiéval vous sera envoyé dès sa parution : pour le moment on en est encore à corriger le 1er jeu d’épreuves. D’ailleurs je parie tout ce que vous voudrez que vous n’aurez pas le courage de traverser cet océan d’ennui. Le grand jour approche pour Touky, le 8, 10 et 11 ou 12 … en attendant il va au lycée, tapirise, fume et suce les beaux cadeaux de M. Jachoteau dont les gâteries nous rendent confus.
Comment s’est arrangée la situation de Simone ? L’affaire de René va-t-elle bientôt se résoudre ? Si Rita et son mari sont allés voir Eugène, pourquoi Léléphant et Jesseca ne peuvent-ils aller à leur tour séjourner au grand air ? Ce serait un tel soulagement pour Annie et son mari que de les savoir là bas, au frais, avec bonne table. Si L ne le fait pas sciemment, par entêtement, il prouve une fois de plus son manque absolu de prévoyance
Il tombe sa malade, sa femme aussi, et Mlle C. ne pourra à peu près rien pour eux.
Amicalement Bérénice

Lettre de Jean Desanti à son beau-père, le 12 juin 42
Expéditeur : M. Jean, 71 rue du Cardinal Lemoine, 71 Paris (Ve )
Destinataire : Monsieur J. Persky Hôtel Westminster,Nice, Alpes Maritimes

Le 12 juin 1942
Mon cher Eléphant,
J’ai fini l’écrit hier. J’ai fait beaucoup de progrès en écriture. Les sujets m’ont plu.
1°) Intelligibilité et individualité – 2°) Nature et morale – 3°) L’infini chez Descartes.
Naturellement on ne peut rien dire. Ainsi ne suis-je ni content ni mécontent. Résultats le 3 juillet ( ?) Ma santé et celle du petit chat blanc sont très bonnes. Portez voius bien. Je vous embrasse tous les deux. Jean
PS Nous espérons que cette calligraphie trouvera grâce devant votre trompe. A.
M. Van C. vient de nous remettre de quoi réparer les fatigues de l’agrégation. Merci. Annie

Lettre d’Annie Desanti à ses parents , le 24 juin 42
Expéditeur : Mle Bérénice Fezensac, 14 rue des Fossés St-Jacques, Paris
Destinataire : Mr. Et Mme Persky, Hôtel Westminster, Promenade des anglais Nice

Nous avons reçu aujourd’hui la fameuse petite caisse pleine de toutes sortes de douceurs également appréciables. Tout venait à pic, et plus particulièrement comme toujours, les bonbons bleus. Les cigarettes en chocolat m’ont rappelé le temps de mon enfance où j’en fumais beaucoup, ainsi que des cigares aux bouts de fumée en sucre et les pipes au fourneau de massepain… j’étais décidemment prédestinée au tabac.
Touky attend avec impatience le 8 juin [lapsus pour juillet] jour des résultats de l’écrit. En attendant il peste contre le Contrat social, qui est au programme de l’oral et dont il a bien entendu horreur, comme d’une œuvre particulièrement antiphilosophique. Quant à moi je ne me suis jamais tant reposée. Jesseca est-elle rentrée de St-Paul de Vence ? Va-t-elle mieux ? Dites lui que je me fais faire un tailleur avec son manteau du soir en velours noir. Mais cela ne va pas vite, car toutes les bonnes couturières refusent du travail ; les femmes n’ont jamais eu plus de souci d’élégance, il faut croire. Triste époque ! Affectueux baisers
Bérénice

Lettre d’Annie Desanti à son père, le 12 juillet 42
Expéditeur : Mle Cotique, 2 r. de la Montagne Ste-Geneviève, Paris 5e.
Destinataire : Mr. Persky, Hôtel de Paris 11 rue Colbert, Marseille
Grand hôtel, place de Jandy Clermont-Ferrand

12 juillet [1942]
Merci de tous les bonbons que nous avons reçu hier. Le colis contenait un sac rose, un sac de colophane, 4 bâtonnets de menthe et 2 paquets de bonbons turcs. Merci surtout pour ces derniers : ils donnent du courage pour l’oral qui commence mercredi : contrairement à toutes les prévisions : le jury ne part en zone libre qu’ensuite.
Avons vu Mme Paul très découragée qui rêve de rejoindre Eugène et Rita. Y a-t-il encore une possibilité matérielle de le faire ? Le 27, il est possible que les amis de Jachoteau aient une surprise désagréable ; surtout que Jacques s’abstienne de toute démarche ou autre bêtise ; Anny pourrait avoir à s’en repentir amèrement. Elle ne sera d’ailleurs tranquille que quand elle saura J. dans la propriété d’Eugène et se demande si vraiment ces fameuses affaires qui le retiennent en selle ne seraient pas des prétextes. Elle a les pires craintes au sujet de sa santé et la dénutrition actuelle ne pouvant que s’aggraver, elle ne cesse de le supplier de comprendre enfin que la campagne lui est indispensable, même s’il craint la séparation et l’ennui.
Moi je vais tout à fait bien : je me suis fait faire une robe sensationnelle avec des étoffes que Léléphant m’avait données l’an dernier et ai payé la façon si cher que j’ose à peine la mettre ; autrefois j’aurai eu un manteau pour le même prix. Mais elle est réussie.
Tendres baisers de tous deux
Touky 2 Touky 1

Lettre d’Annie Desanti à ses parents, le 14 août 42
Expéditeur : Mle Alissa Vermont, 5 rue du Pas de la Mule, Paris
Destinataire : Mr. et Mme Persky, Hôtel Saccaron, Luchon les Bains Hautes Pyrénées

14 août 1942
Merci, ô Elephant, de tes nouvelles extravagances. Jacques aussi nous a fait un cadeau ; il nous a envoyé ses cigarettes, mais hélas, il n’en est arrivé que 13 sur 40. Il est vrai que l’emballage de son colis était très mal fait … Par contre les bonbons que tu nous as envoyé étaient absolument exquis …le sont encore, car le colis date d’hier. Pour nos vacances rien n’est sûr encore. Nous serons nommés soit à Poitiers (Z .O.) soit à Vichy. Dans ce dernier cas nous aurons un laisser passer pour le 1er octobre au plus tard. Te dire que cette nomination me plait serait exagérer, mais enfin… puisqu’il faut hélas quitter Paris (cinq ans loin de Paris … et c’est le minimum ! La fiancée de Pol. Mme Catherine Hermant est partie en vacances à Chenerailles Creuse Hôtel Marland. Elle y est allée sur mes conseils, et voilà qu’en quittant Lyon elle a eu un accident d’autocar terrible : Je te prie de lui écrire immédiatement, car sa carte n’est pas très explicite et je ne sais pas au juste si elle a ou non été blessée.
Touky va très bien, dort et mange et se réjouit à chaque minute de n’avoir pas de concours à passer. Simone est à Toulon 13 av. Ernest Reyer chez les Cuzin ; elle doit vous avoir écrit à Nice. Quand y retournez-vous ? Reposez-vous bien. Tendres baisers à vous deux de nous deux .
A.
Lettre de J. Persky à M. et mme Desanti
Vernet camp le 5 octobre 1942

Mes chéris
La nouvelle que vous me faites parvenir disant que mon transfert dans une clinique est en principe décidé m’a naturellement consolé

9 décembre 1942, Jacques Persky est opéré d’une éventration à Toulouse
Certificat médical, 12 février 1943
Professeur J. Ducouing
1 bis rue de Languedoc, Toulouse
Je soussigné professeur Ducuing certifie que Monsieur Persky Jacques, interné au camp du Vernet, a été opéré le 9.12.42 d’une volumineuse éventration consécutive à une cure chirurgicale de hernie. L’éventration présentait le volume d’une ???
Le malade quitte aujourd’hui ma clinique et, avec l’autorisation de la Préfecture à Toulouse Me Persky incomplètement guéri se rend à la clinique de Mr le Dr St Béat rue des Buches à Toulouse
J’estime que le suintement que présente Mr Persky ne sera pas fini avant six semaines à trois mois
Autant de temps sera nécessaire pour que Mr Persky puisse reprendre la vie des camps.
Toulouse le 12.2. 1943

Lettre de J. Persky à ses enfants le 17 février 1943

Remerciement d’un haut fonctionnaire de Vichy, le 15 mars 1943
Ministère de l’Agriculture et du Ravitaillement.
Le Ministre
Vy. N° 4059

Vichy, 15 mars 1943

Mon cher Camarade,
Je suis absolument confus de recevoir un aussi bel ouvrage que celui que vous m’avez fait parvenir. Il n’était nullement besoin de ce trop splendide cadeau pour m’exprimer votre
gratitude. Mais je suis extrêmement sensible à votre attention et ne sais vraiment comment vous dire mes remerciements.
J’aurais voulu vous écrire plus tôt, mais j’étais à Paris, et je n’ai passé à Vichy que quelques heures la semaine dernière.
J’espère que votre malade va, malgré la grave opération qu’il a subie, reprendre vite des forces et que tous ses ennuis ne seront plus bientôt qu’un mauvais souvenir.
Je vous prie de présenter mes hommages respectueux à Mme DESANTI et croyez, mon cher camarade, à l’expression de mes sentiments les plus cordiaux.
Amitiés
Max ???

M. Desanti
Lycée de Vichy

Télégramme adressé à Mme DESANTI, 18, rue Viollet les Duc Clermont-Ferrand
12 juin 1943
Télégraphiez mesures exactes pour tailleur d’été
Tendresses. Perski. Hôtel Westminster [Nice]

Lettre de J. Persky à ses enfants, le 19 juin 1943
A ce propos je vous signale qu’Irène vient d’obtenir enfin l’autorisation de se rendre pour 3 semaines à Evian. Elle y partira à la fin du mois. Je vous propose d’y aller en même temps qu’elle – vous y serez nos invités.
Cette villégiature te rappellera, Annie, notre séjour précédent dans cette ville il y a plusieurs années

Enveloppe 20 juillet 1943
[Ecriture de J. Persky]
Jean Desanti
18 rue Viollet-le-Duc Clermont-Ferrand (P.deD.)

Lettre d’Annie à Touky, 23 juillet 1943
Sur trois feuilles de petit papier à lettre

Vendr. 23 juillet 1943
Mon amour chéri
Je crois bien que je suis venue à Paris dans le seul but de me faire une permanente et de voir François, car ce sont là les seules réussites de mon voyage jusqu’ici et pourtant ..
Vu Roussillon ; n’a connaissance d’aucune note et ignore profondément l’affaire. Vu M. Leguay alter ego de Weber et aussi charmant quoique plus beau. Il regardera mais n’a vu passer aucune note de ce genre.
Parlé avec H. qui promit de voir le patron lundi, verra, verra pas. Pris rendez-vous pour ce même lundi avec la célèbre Mme Mitre … j’espère bien la voir avec de nouveau une orchidée devant elle et la tête douloureuse.
Eté à Drancy, hélas, remaniement complet. Plus de gardes français, plus de colis individuels, impossible d’adresser la parole aux sentinelles. A l’Ujif j’ai appris que depuis une semaine le camp étant en « réorganisation » : ils n’avaient plus ni listes, ni permis de ravitailler.
Téléphoné à Compiègne, où j’irai demain sans doute : il ya un service allemand où l’on peut savoir si les gens y sont.
Garteirer est en vacances, Solignac aussi.
Jacques M-P. est arrêté. J’avoue que de toutes les nouvelles bizarres, inattendues, etc… celle-ci est assurément la plus étrange de toutes.
Dès le premier matin, vu, dan s le bureau de Stéphane, en ouvrant la porte, un François plus splendide, plus rayonnant de vie, de sympathie et d’humour que jamais.
Il a mis trente secondes à me reconnaitre, j’avoue que je ne savais pas avoir tant changé. Adieu jeunesse … on ne peut pas être et avoir été, etc…etc… François est 3ème. Bonne place, n’est-ce pas. Espérons qu’il finira cacique. Très grande et joyeuse émotion de le revoir si semblable à lui-même, avec ce sourire qui rend l’atmosphère assise, nette et carrée autour de lui. Espère avoir un moment pour le revoir aujourd’hui. Il est descendu chez Madeleine Herr. Vu Michel très changé, muri physiquement et mentalement aigri, pestant contre l’Université en général ; et le maitre Gouhier en particulier. Pas encore vu Bachelard.
Vu Olga et Bost hier au Dôme où j’ai emmené Mme Chérie et la Toukyte manger des glaces. C’était figure toi une ambiance compacte du Dôme d’avant-guerre, avec toujours les mêmes poètes et peintres dont on connait si bien les têtes et ignore si parfaitement les noms. Olga faisait très Electre et Bost plus Manfred, plus Rolla, plus Byronien en un mot que jamais.
Qu’est ce que les femmes, Toukyte comprise, peuvent trouver à ce visage olivâtre et convexe si busqué, si fermé, si arabe. Il fait un peu penser au pauvre Jacques M. P enfermé, râleur et désespéré certainement dans cette cellule. Pourquoi ? Question, je crois, tout çà fait sans réponse pour lui.
Mon cher amour, tu vois, je cours sans répit, ne m’asseyant pas toujours pour les repas, mais dormant comme bûche en cellier, et jouissant par intermittence de ma Toukyte aimée.
Dès le soir de mon arrivée, j’ai vu l’abbé B. de Clermont et lui ai parlé de Léon. Il pense pouvoir m’avoir le papier. Va le voir dès réception de cette lettre, car jeudi il part. Tu sais il habite 26 rue …St Laurent, je crois ? Cette rue qui monte, tout de suite après la place Gaillard, avec une sorte de square à gauche. Tu sais on longe ce square quand de la gare on va place des Etats-Unis. En tout cas tu n’as qu’à chercher « Besson. Ameublement » dans l’Annuaire
Pour toi seul.
Tu me manques terriblement. François est furieux de ton absence. Toukyte et moi disons souvent grand bien de toi. Que tu finiras par être vaniteux, ô mon amour.
L’image du Cabri, et ses yeux affamés pour lesquels je n’ai encore trouvé aucune pâture malgré bien des courses et des téléphonages vains me hante. Ceci pour toi seul. Et ceci encore : mon amour, mon amour, mon amour. Ne me crois pas trop déliquescente, je me tiens très dignement. Je vais tout à l’heure aller chez Hachette pour des traducs. Vu Mme Lama, les reverrai tous demain, Ai un billet pour le 30, mais pas encore de fiche d’admission, Irai faire la queue demain.
Mon amour, mon amour mon amour
Chéri il faut décider l’Eléphant et trouver le nécessaire. Je n’ai plus la force, je t’assure .. c’est trop bête aussi à la fin. Excuse l’écriture, les taches et le papier.
Ah, Gallet de Santerre t’envoie son souvenir. Mon amour mon amour mon amour
Chat

Ps N’oublie pas de donner à l’abbé Besson la date de naissance exacte de Léon. Je lui ai dit la vérité : mère orthodoxe, mais père, lui pas baptisé.
D’autre part y aurait-il un moyen quelconque d’envoyer ici quelques kilos de pêches : ils manquent totalement de tout ici. Heureusement que j’ai encore Jeannot pour le pain. Ah les bonbons bleus peuvent être écoulés à 110 donc ..
As-tu fait ouvrir la malle-armoire ? Porte le linge sale chez Mme Marguerite. Dis à Georges d’en faire autant. Demandez si elle peut repasser en mon absence. Rends à Evelyne le fer rangé à gauche sur la planche du placard blanc.
Je m’arrive plus à me séparer de toi.
A bientôt, chéri aimé. Travaille, ne t’ennuye pas.
Ecris moi vite. Sartre est-il là ?
Qu’a dit le général ?
Je t’aime
A

Le chat blanc a un beau poil que nous lissons soir et matin.
Touky noir nous vous renverrons bientôt un beau chat blanc que l’on essaye de reposer un peu.
Un gros baiser au chat noir
Toukyte.

Lettre de Jacques Persky à Jean Desanti, 24 juillet 1943

Enveloppe timbrée à Toulouse le 29 juillet 1943
[Ecriture de J. Persky]
Monsieur Jean. Desanti
18, rue Viollet-le-Duc, Clermont-Ferrand (P.deD.).

Lettre de Jacques Persky à Annie, 28 août 1943

Le 28 août 1943
Mon enfant chérie
Je te félicite chaleureusement pour ton anniversaire qui est pour moi une fête joyeuse, même ax moments les plus sombres de mon existence. Tu sais la place que tu occupes dans mon âme et combien m’est cher et signifiant tout ce qui te concerne. Le bienfait que j’attends ardemment de la paix qui doit un jour revenir, est l’accalmie de ta pensée tourmentée et la détente de ta sensibilité si cruellement excitée car les évènements actuels. Du fond du coeur je te souhaite une vie longue et heureuse avec le mari que tu aimes et que, à mon tour, j’ai appris à aimer. Je te bénis et t’embrasse bien tendrement.
Ton père
PS. Le mandat de 1.000 frs que j’ai chargé un de mes amis de t’expédier est probablement arrivé, ne tarde donc à acheter la glace que tu désirais.

Enveloppe timbrée à Toulouse le 30 août 1943
[Ecriture de J. Persky]
Madame A. Desanti
18 rue Viollet-leDuc, Clermont-Ferrand (P.deD.).

Nouvelle opération, le 14 septembre 1943
Deux semaines de convalescence
La pauvre Irène est toujours en hésitation sur la question de son départ pour Nice

Lettre de Jacques Persky à Jean Desanti, le 11 octobre 1943

11- X- 43
Mon cher Jean
Ce matin je t’ai écrit pour te demander des précisions sur le renseignement verbal qui t’avais été donné. Je m’empresse maintenant de t’informer que je n’en ai plus besoin. Je viens en effet d’être convoqué au Commissariat où il m’a été déclaré que par décision ministérielle je suis libéré. On m’a invité à indiquer la localité où j’ai intention de me retirer. J’ai répondu que provisoirement j’irai rejoindre Irène.
Ainsi a pris fin le malheur qui m’opprimait depuis plus d’un an. Cette fois c’est fini pour de bon et aucun fonctionnaire ne pourra plus m’alarmer par un démenti arbitraire. Je tiens à cette occasion de t’exprimer à nouveau toute ma gratitude pour les efforts qui tu n’as pas cessé de prodiguer en ma faveur pendant cette funeste année.
Je t’embrasse bien fort.
JP
Lettre de Touky à son beau-père Jacques Persky
Sur une page de cahier d’écolier quadrillé

26 Novembre 1943
Mon cher Eléphant
J’ai reçu votre dernière lettre que j’ai transmise à Annie. Il ne faut pas tellement se désoler de ce qui arrive. Annie et moi gardons des rapports fraternels étroits, et quant à moi je resterai toujours votre fils si vous voulez bien de moi. Je vous considère tout à fait comme mon père et vous estime comme tel.
Le futur nouveau mari d’Annie est quelqu’un de bien. C’est un assistant de chimie de la faculté. Il a d’énormes qualités de cœur et de caractère. J’espère qu’il la rendra heureuse. Pour le moment elle est très contente.
Nous n’habitons plus ensemble depuis quelques mois. Mais vous pouvez continuer d’écrire ici. Nous nous voyons régulièrement, et tout à l’heure nous allons diner ensemble.
Nos projets d’avenir sont évidemment de reprendre notre liberté complète. Annie m’ayant fait part du caractère définitif de son nouvel engagement, j’ai dû moi aussi construire ma vie d’une autre manière. Mais ceci ne change rien aux sentiments d’affection plus que profonde qu’Annie et moi continuerons toujours de nous porter. A plus forte raison ceci ne doit-il rien changer aux sentiments que j’ai pour Irène et pour vous. Comme je l’ai dit plus haut je vous considère tout à fait comme mes parents adoptifs.
Annie et moi avons l’intention de venir vous voir un de ces jours, peut-être ensemble, peut-être séparément. Cela dépendra des circonstances.
Encore une fois vous ne vous désolez pas. Ce n’est pas un grand malheur de changer de vie. L’essentiel est de ne pas se tromper mutuellement, de ne pas se faire de mal, et de continuer à être heureux.
Je vous embrasse, ainsi qu’Irène, bien tendrement
Jean
Avons reçu les bonbons … Nous vous remercions.

Jacques Persky passe deux jours à Toulouse, le 9 décembre 1943.

Lettre d’Annie Desanti à Touky, 21 décembre 1943
Sur un papier à en-tête « Etat Français ».
« Secrétariat d’Etat au travail. Office de reclassement professionnel de la main d’œuvre ».

21 décembre 1943,
ou « six ans après »
Je n’ai pas voulu laisser passer ce jour sans te souhaiter tout le bonheur possible. Pour toujours, mon aimé.
Ah Touky, comme j’ai le cœur froid…
Ecris-moi vite le résultat des conversations avec les éléphants. Mon chéri, si tu savais, si t savais.. Je me dis à chaque minute de ma vie « avoir eu le bonheur le plus haut, le plus pur, et l’avoir déchiré de mes mains pour trouver … le néant ». Le néant tout noir, tout absolu, c’est irrémédiable.
C’est ainsi. Ne prends pas cela pour une plainte. Au fond il n’y avait aucune raison pour que je sois plus spécialement heureuse. Toute ma tendresse mon Touky
Ecris moi soit 4, rue Sidoine Apollinaire, au bureau, soit au Centre d’O.P. rue des Bons enfants
Ta femme Chat blanc

Lettre d’Annie Desanti à Touky, 4 février 1944
Sur trois grandes feuilles de papier à lettre

4. II. 1944
Mon petit Touky noir,
Bonne année au chaton noir, tout tendre et au chat siamois qui se tient tout près et tout roulé, à ses côtés. Mille bonheurs, mille apaisements et mille gloires.
Reçu votre lettre dont merci, à mon retour d’Espalion, trou perdu fort joli avec une vieille église et un vieux pont tout rouges, et un bel hôtel malheureusement peu chauffé. J’avais préalablement écrit une lettre pathétique, puis une autre, plus pathétique encore, dans laquelle je me demandais au nom de leur amour tant vanté de faire bon accueil à Claudy qui allait bien mal, le pauvre gosse, et pour lequel j’espérais une diversion. Puis, sûre de mon effet, je pris le train sans attendre le télégramme d’invitation qui m’a manqué d’une heure.
Tout se passe à peu près bien, sauf les innombrables, et un peu exaspérantes références à Jean-qui-faisait-ci et Jean-qui-pensait-comme-çà, et Jean qui aurait besoin d’un complet, et comment se fait-il que Jean n’ait pas assez d’argent, etc.
Je fis bien entendu mille caprices, mettant le pauvre Claudy dans une situation impossible qu’il me reprochait bien entendu.
C’est là encore que j’ai pu admirer la perspicacité chatesque : Claudy a en effet besoin d’être encadré : le fait même de trouver une famille, d’être reçu par mes parents, etc, l’a attaché à moi d’une façon nouvelle. Le séjour aurait été parfait si je n’avais eu le dernier soir l’imprudence de parler avec l’Eléphant (tu devines à quel diapason). Il m’a dit : « que veux-tu, j’ai donné mon affection à Jean ; je suis lent à la donner, je ne peux la reprendre ainsi. » Alors moi, ne pensant pas à la sonorité des murs et à la proximité des oreilles, j’ai dit : « mais, moi aussi, j’aime Touky ; seulement mon sentiment pour Georges est plus fort. »
Tu comprends bien que tout se payant dans la vie, et la vie étant chère, et Georges étant beaucoup plus intuitif et plus subtil que tu n l’imagines, j’ai payé ces paroles pendant 2 jours, et j’aurais pu les payer plus cher encore. J’ai bien cru que cette fois il était définitivement déçu. Et pour lui, qui a tant besoin de certitude et de se sentir enveloppé d’un amour qui englobe tout et tolère tout, c’était un coup rude. Très énervée par des injures dites sous le plus futile prétexte au buffet de Rodez, j’ai lancé un morceau de pain qui l’atteignit au front. A le trajet Rodez Neussargues, si bellement montagneux, de combien de larmes ne fut-il pas tracé. Le soir, dans une chambre glaciale, il a eu l’air de se détendre et le lendemain après midi il avait enfin compris que je ne savais pas faire l’article … mais il parait que j’ai toujours su faire le lien (tu m’as pourtant souvent reproché le contraire). Tu sais, je t’assure qu’il ne faut pas le juger trop sévèrement. Pendant toute notre absence, il n’a pas dormi une heure par nuit…comment veux-tu garder l’équilibre ?
De Jojo, une carte dans la langue maternelle, écrite par un copain, signalait qu’il avait « mal à la main droite ». La signature seule était de lui, et malgré mes protestations, je t’avouerai qu’elle est nettement d’un gaucher. Et Claudy pense que là bas il n’est pas de panaris ni d’éraflures, et je sais bien quelles horreurs il se figure dans ses nuits sans sommeil.
Alors tu vois, mon chaton, il ne faut pas trop lui reprocher ses défauts … peut-être d’autres seraient-ils pires à sa place.
Malheureusement depuis notre retour il est repris de jalousie à ton égard et justement parce qu’il t’admire et t’estime ; il a peur de toi.
Il faudra nous voir très peu ... que veux-tu, j’y ai consenti parce que je n’avais plus d’autre issue .. oh mon tendre frère, t’arracher ainsi de ma vie … mais Claudy ne peut comprendre combien mon sentiment pour toi est différent … tout se lassera avec le temps, tu verras, et jusque là, ne m’oublie pas plus que je ne t’oublierai.
J’attends avec impatience d’avoir un enfant avec Claudy : ce sera si bien pour lui, et aussi pour moi. Il me faudrait un fils casse-cou et enfantin comme son père, avec cette perpétuelle jeunesse de cœur.
A part cela et pour poser les pieds par terre, je voudrais savoir a) si tu as montré « Mirages » à Sartre et ce qu’il en pense b) si Comoedia a publié mes articles et si oui combien je dois toucher c) ce que devient Notre-Dame
Bien entendu je signerai cette traduction de mon nom … du tien.
Adieu, mon tendre chat jumeau, et encore mille bonheurs … tu les mérites tant, de tant …
Ecris moi rue Sidoine
Annie

Lettre de Jacques Persky à Jean Desanti, le 17 janvier 1944

17-I-44 Hôtel Berthier. Espalion (Aveyron)
Mon cher Jean
Je viens de recevoir de Nice un petit mandat de frs 24, 30 représentant le surplus du montant que j’avais envoyé pour le renouvellement. Ce mandat étant établi à ton nom je te l’adresse ci-joint.
As-tu pu avoir à Paris tous les entretiens que tu a envisagé notamment celui avec Didier éditeur ?
Ainsi qu’elle t’a sans doute déjà raconté, Annie est venue passer avec nous les fêtes du nouvel an. Elle n’est pas venue seule, et pour la première fois notre réunion familiale manquait pour moi de la joie habituelle. Une immense tristesse me serrait le cœur et je ne t’oubliais à aucun moment.
Ecris-moi comment va ton travail au lycée, qu’est ce que tu prépares maintenant pour publication et si la date est déjà fixée où paraitra ton article sur le livre de J.P. Sartre, « l’être et le néant ». ?
Tes lettres me font toujours plaisir et tes occupations m’intéressent
Je t’embrasse bien fort.
JPersky

Lettre de Jacques Persky à Jean Desanti, le 3 avril 1944

3-IV-44
Mon cher Jean
Comme toujours ta dernière lettre m’a fait plaisir. Il me fut agréable d’apprendre que l’inspecteur général a été content de ton cours lors de sa visite. Tes articles pour les revues m’intéressent et je te prie de me faire parvenir les numéros des journaux où ils seront publiés.
A notre grand regret, Annie ne viendra pas nous voir pendant les vacances de Pâques étant donné l’approche de ses examens. J’espère que ceux-ci une fois terminés, elle fera chez nous un séjour prolongé. Rien de changé dans notre existence dans le petit trou où nous sommes réfugiés. La situation est pittoresque, les promenades sont bonnes, et je suis sûr qu’il te plaira quand tu viendras nous rendre visite ainsi que tu le promets dans ta lettre. Avec la cessation des froids ta chambre à Vichy est-elle devenue plus agréable ?
Irène t’adresse des baisers et moi je t’embrasse avec tendresse.
J

Lettre de Jacques Persky à Annie, le 5 mai 1944

5-V-44
Chérie
Reçu ton télégramme disant que notre inquiétude est incompréhensible et je m’attends que ta prochaine lettre viendra même accentuer ton opinion sur notre anxiété. Tu dois cependant comprendre qu’étant loin de toi et apprenant que ta ville fut bombardée nous éprouvons chaque fois une forte crainte, d’autant plus que les détails de l’évènement malheureux nous restent inconnus pendant quelques jours suivants. Aucun raisonnement n’y peut rien et seule une réponse de toi est susceptible de nous rassurer.
J’ai terminé « la Nausée » et vais te renvoyer le volume avec le prochain colis. Tu as vu juste quand tu disais que le livre ne me plairait pas.
L’idée du fond de cette œuvre consiste, en tant que j’ai compris, en ce que, considéré sur le plan universel, l’existence est dépourvue de sens et, sur ce point, ne diffère pas du néant. Seules les œuvres de l’esprit peuvent lui échapper. Afin de démontrer la répercussion de cette vérité sur la mentalité humaine l’auteur préféra la forme d’un roman à une dissertation philosophique en estimant qu’un exemple de l’être vivant est autrement persuasif qu’un exposé abstrait. L’ouvrage a cependant réuni les défauts de ces deux genres littéraires sans réaliser les avantages d’aucun d’eux.
L’intrigue et la trame d’un roman sont presque nulles, le volume est, par contre, bourru des observations de l’héros sur soi-même et des discours abstraits qui gagnent très peu du fait de ne pas être narrés au nom de l’auteur directement. Si les mêmes méditations étaient exposées dans la forme plus appropriée d’un article philosophique, elles ne seraient pas plus monotones ni moins faciles à suivre. Peut-être même que grâce à l’ordre plus strict de l’argumentation l’ouvrage serait en ce cas plus convaincant. De toute façon l’impression que « la Nausée » laisse à son lecteur est celle d’un énorme ennui –pas autant de l’existence que du livre lui-même. Le plaisir me fut réservé à la dernière ligne du roman pour la simple raison de la délivrance d’une lecture fatigante. La vielle règle était présente à l’esprit que dans l’art tous les genres sont bons, à l’exception de l’ennuyeux.
Pour avoir fait sa connaissance, je sais que J.-P. Sartre est un homme remarquable, sa conversation est pleine d’intérêt, son esprit est extrêmement agile et son œuvre philosophique éminente. Mon admiration sincère pour lui est profonde, mais, à mon goût « la Nausée » n’est pas un chef d’œuvre malgré son succès de librairie.
Hier nous est enfin arrivée la seconde malle laissée à Nice. Elle fut enlevée par l’expéditeur il y a cinq semaines et son absence faisait soupçonner qu’elle fut perdue. La surprise a donc été grande et agréable ?
Nous n’achetons pas de pommes de terre et la carte nous reste inutilisée. Te pourra-t-elle être de profit ?
Irène et moi t’embrassons bien fort. Bon souvenir à Georges
J.

Lettre de Jacques Persky à sa fille, 21.mai 1944
Enveloppe postée à Espalion Aveyron, le 22 mai 44
Madame A. Desanti
Service du reclassement des Intellectuels
4, rue Sidoine Apollinaire Clermont-Ferrand (P.d.D.)

21.V. 1944
Ma chérie,
Ta lettre annonçant ton retour rue Viollet le Duc nous remplit d’une joie immense.
Je veux mettre sur papier les réflexions que l’évènement m’inspire bien que je sache le parti pris avec lequel tu écoutes mes opinions. Tu as tort de qualifier celles-ci à l’avance de sermons ennuyeux sans te rendre compte que je te transmets sincèrement des convictions élaborées au cours d’une vie assez longue.
Ce n’est pas en vain que l’humanité civilisée attribue tant d’importance à la stabilité du mariage. Beaucoup décriée, la fidélité réciproque des époux s’avère dans la réalité comme un élément indispensable au bonheur d’une vie qui vaille d’être vécue. Puisse ton existence rentrer maintenant définitivement dans son cadre sain et normal.
En appréciant l’évènement je ne pense qu’à toi et à ton mari. Je tiens cependant à mentionner qu’en ce qui regarde moi et Irène la nouvelle nous rendit heureux jusqu’au fond de nos cœurs. Tu n’imagines pas à quel degré ta séparation d’avec Jean nous faisait souffrir. Il ne passait pas un jour que nous n’en avons parlé avec une profonde tristesse. C’est pour nous une véritable délivrance. L’évènement joyeux nous fut annoncé clairement par Jean, tandis que ta lettre se bornait à mentionner en passant ta nouvelle adresse. Je ne te demande pour le moment des détails, mais j’espère que plus tard tu me raconteras un jour explicitement l’évolution qui amena ce résultat. Sans doute devines-tu combien toutes ces circonstances nous intéressent.
Je termine en bénissant le redressement de votre vie et en souhaitant ardemment que votre destin commun ne soit plus jamais ébranlé par aucun dissentiment.
Je passe à un sujet moins grave (et qui se dissout même en fumée) : mon débitant manquait hier du Celtic et ne peut m’offrir que Caporal, Naja (blond) et Gitanes dénicotinées. Il fallut peut-être préférer Naja au Caporal ? Je n’ai pas d’avis bien fixé dans la matière.
Irène et moi nous t’embrassons avec grande émotion et tendresse J.

21.V. 1944
Mon cher Jean,
Ta lettre annonçant le rétablissement de votre vie commune nous a rendus Irène et moi, très heureux et contents. C’est l’exaucement de notre désir le plus cher. De tout mon cœur je souhaite et espère qu’après cette triste expérience qui nous a fait à tous tellement souffrir, votre bonheur sera solidement restitué et ne sera plus jamais troublé.
Pendant la sombre époque de votre séparation tu n’as à aucun moment cessé d’être pour moi mon fils pour lequel je gardais la même affection qu’auparavant. Que chacun de vous s’applique désormais à prodiguer pour l’autre l’attention et le dévouement qui adoucissent et éclairent la vie en commun. Pour te dire toute ma pensée j’ajoute qu’à mon avis est-il parfois nécessaire que même des préoccupations intellectuelles cèdent le pas au souci du bonheur conjugal.
Nous serions extrêmement heureux, Irène et moi, que vous veniez, Annie et toi, passer chez nous vos vacances. Vous vous reposeriez sûrement très bien chez nous. A quelle date commencent vos vacances cette année ?
Irène et moi, nous t‘embrassons bien fort. J.

Lettre de Jacques Persky à Annie et Touky, le 25 mai 1944

25. V. 44.
Chérie,
Reçu hier ton télégramme ainsi que ta lettre expédiée le 22 cr.
Ton télégramme me fit supposer que mon avant-dernière lettre ait été égarée. Il y avait, en tant que je me souviens, la carte de pommes de terre. T’est-elle arrivée ? A propos peux-tu obtenir de pommes de terre ? Notre seconde carte pourrait dans ce cas t’être également envoyée. Ta visite au personnage dont je faillis dépendre est amusante par sa –si on peut dire sans contradiction logique- coïncidence tardive ? Est-il à la hauteur de ses fonctions chargées de lourde responsabilité morale sinon juridique ?
La carrière abominable du fils de Vera ne fournit aucun argument pour ou contre des enfants. Si la mère n’était pas détraquée et victime de narcotiques, elle saurait autrement élever son fils. Quelle mère, tel enfant. C’est le pauvre docteur homme brave et honnête qui est à plaindre profondément. La progéniture de Véra ne cesse pas de le couvrir de honte.
La biographie que tu racontes du cousin de Jean démontre que les Corses ne manquent pas d’énergie, cet élément principal de la vie ?
Chez nous il n’y a pas heureusement de nouveau. Les jours se déroulent paisiblement. La santé d’Irène qui laissait à désirer s’améliore ce dernier temps grâce au traitement que le médecin lui ordonne. Nous faisons d’assez longues promenades sans qu’elles la fatiguent. Il faut te dire que les routes qui entourent notre ville offrent des promenades magnifiques parmi des champs et des collines pittoresques. L’air est sain et vivifiant. Avec le beau temps qui s’installe en dépit des incidents pluvieux, je ne me refuse pas de profiter de ces plaisirs de l’existence à la campagne.
Irène et moi, nous t’embrassons de tout cœur.
J…

Mon cher Jean
Il m’a été agréable d’apprendre qu’on te demande un autre article pour la Revue de Métaphysique.
En ce qui concerne le costume tu as pu te convaincre qu’il n’est pas réparable et peut servir uniquement avec un autre vieux complet pour permettre de commander un nouveau complet chez le tailleur. Le mandat ci-joint de 2000 francs que je te prie d’accepter comme cadeau servira à payer le prix du nouveau costume. Ne tarde pas de passer chez le tailleur.
Irène et moi t’embrassons bien fort
J.

Dernière lettre du 5 juin 1944
Enveloppe d’une lettre postée à Clermont-Ferrand le 5 juin 1944, adressée à
« Madame et Monsieur Jacques Persky, hôtel Berthier, Espalion, Aveyron »
Elle est tamponnée à Espalion le 12 juin 1944
Sur l’enveloppe, trois lignes manuscrites : « Ainsi que je vous l’avais écrit et télégraphié [vos] parents ont été emmenés à Rodez et nous ne savons pas où ils sont à présent. »

Carte postale du 20 juin 1944
Expéditeur : Me de Bunting, 49 avenue de Rodez, Espalion Aveyron
Destinataire : Madame Desanti, 13, rue Violet-leduc Clermont-Ferrand, P.de D.

Madame,
Je me demande si vous avez reçu mes deux lettres et les deux télégrammes que Mr Triadou et moi vous avons envoyés ? J’ai voulu envoyer un paquet à votre mère avant-hier, mais on ne l’a pas accepté à Rodez, car ils sont partis à destination inconnue. Je m’empresse de vous en faire part. Je serai très heureuse d’avoir un mot de vous pour me confirmer que vous êtes au courant des derniers évènements dont je vous ai fait part et que vous avez pu entreprendre quelque chose.
S. de Bunting
20 juin.