Textes Divers : Femmes de Barbès

Textes divers trouvés dans de petits carnets : il s’agit bien entendu de notes. On pourrait dire que ce sont des « choses vues » … Les deux derniers textes sont récents et ont été écrits peu de temps (un ou deux ans) avant la mort de Dominique (avril 2011)

Carnet à rayures vertes et bleues

Femmes et Barbès

Féminine la foule glisse et se rue vers les comptoirs des trottoirs. Rues illuminées en plein jour - quoi qu’on en pense en haut lieu - par des soleils électriques. Médina triste. Métro aérien du quartier algérien et noir. Au bord des trottoirs des doigts agiles agitent les tas de pulls et les corsages fragiles. « Je l’ai vu la première Madame », « Mais non ! ». Doigts blancs et paumes passées au henné et paumes d’aube de mains nocturnes. Maghreb, Afrique et tous les immigrés d’Europe et les Françaises aussi.

Pense le ministre qui vous dit à la télé « Eteignez en sortant » ???

La foule glisse. La foule se rue de la rue vers les comptoirs des trottoirs face au métro aérien du quartier algérien et noir. Médina triste de Paris où le dimanche les hommes font la queue devant les maisons des brèves étreintes.

En semaine la rue s’illumine des soleils de décembre électriques jusqu’aux cardigans. Femmes surtout, hommes parfois, fouillent de leurs doigts agiles l’entassement des pulls, des chandails, des collants, des corsages. Tout en synthétique à base de pétrole. Tout à rien.

Ce magasin un homme venu du Levant l’a d’abord destiné aux immigrés.
Puis la fréquentation a flambé par les femmes de journée, les femmes de service comme on dit jusqu’aux dames qu’elles servent. Et celles-ci ont cherché à garer leurs petites voitures de ville et les plus snobs ont pris le métro. Elles aussi s’enfoncent dans la foule des pauvres et de leurs doigts manucurés trouvent des merveilles « à rien ».
« Malheureusement les vendeuses manquent d’urbanité et ça ne leur coûterait rien vraiment de se montrer aimables mais de nos jours c’est risqué.
- Elles sont paumées je vous jure les chéries. Une paumée comme moi elles me prennent pour juge ! ».

« Croyez-vous que ce pull supporterait sans invraisemblance une griffe de couturier ? »
Vous savez quand on a été mère seule à 17 ans dans un bourg de 20 000 personnes, on est si paumée qu’une griffe ça vous fait penser à un chat, pas à un modéliste. Bon, elles cousent l’étiquette au nom célèbre dans leur pull acrylique à 20 ou 30 Francs. Moi je rigole moi je ne casse rien pour elles. Je me sens plus chez moi avec ces filles toutes mignonnes qui travaillent…

…et qui voudraient ne pas être plus laide qu’une autre alors celles-là je les aide si je peux. Nous vous savez on est là plutôt en dessous du SMIG je veux dire on travaille plus d’heures que convenu et au salaire minimum. Si on grogne c’est du vite fait : y en a toujours pour prendre la place. Des vieilles surtout, des bonnes femmes de 40, 50 ans qui sont seules parce que leur bonhomme s’en est trouvé une fraîche. Alors vous pensez, les droits syndicaux…

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(Cahier mauve)

Février 2011
Un regard nonagénaire

L’enfance c’est l’attente. La hâte de devenir soi-même. De cesser l’obligation-révolte envers les « grandes personnes ». Les tentatives ou révoltes envers ceux qui disposent de votre sort mais exigent que vous y consentiez. Et même que vous manifestiez votre consentement, votre plaisir même des décisions qu’ils prennent pour vous.

Les autres débordent tous de souvenirs d’enfance. Y a-t-il beaucoup de gens qui comme moi n’en retrouvent presque pas ? Est-ce une schizophrénie spéciale d’avoir presque tout effacé des années qu’on a pourtant vécues ?

Dimanche
Février 2011

Visite de Dorota qui habita l’immeuble. Cadre chez Peugeot elle est, voici peu de mois, repartie dans son Varsovie natal et raconte l’état d’esprit, le stress, le désintérêt, l’ambition purement personnelle des cadres de là-bas.
Elle parle français comme nous avec à peine d’accent. Elle garde la nostalgie d’une entreprise où les responsables avaient une vue plus large que leur propre carrière. S’oblige à rester pour donner à sa mère une vie plus confortable.
Elle arrive bien sûr en retard et bien sûr chargée de gâteaux de toutes sortes.
Nous parlons de l’évolution des esprits envers le travail. Puis d’expos de peinture (elle est partie au moment où l’internationale de Cl. Monet commençait. (en septembre 2010 NDLR)

Elle a cet enthousiasme slave, cet amour de l’art et de la beauté si répandus dans les milieux dits « cultivés » de l’Est européen. Elle, l’étrangère, a les mêmes attirances et répugnances en politique – sauf, bien sûr, la virulence de son anticommunisme.

Retour vers Aurélie

Elle est camérawoman pour gagner sa vie et rêve d’être réalisateur - courts-métrages généralement liés à des psy (surtout pour la thérapie de groupe aux USA).
Elle y arrive parce qu’a travaillé avec des réalisateurs célèbres : Resnais, Godard, Chris Marker, comme ça, par « relations » en somme. Caméraman jamais en titre.

Et d’abord en heures sup, ensuite plus officiellement a enseigné la « réalisation », le tournage, le traitement de l’image dans plusieurs écoles prestigieuses.
Ce qui l’a fait indiquer dans plusieurs universités et collèges des Etats-Unis, surtout en Californie.
Y était la 1ère fois pour l’assassinat de Martin Luther King. A vu les Black Panthers et aussi le racisme à demi-inconscient. A voulu prolonger son séjour. Intrigues amusées avec homos….

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Cahier noir

Fait ailleurs
22 juillet 2010
Pour « Graines d’espace » ou « Le long du Temps immobile »

Ce long garçon bouclé à l’oeil bleu, elle eut peine à le reconnaître. Moins maigre, il était aussi moins silencieux. Assis sur deux piles de livres, ici les livres règnent sur les habitants, il semblait avoir gagné de l’aisance en… oui en près d’un an. Elle s’aperçut alors qu’elle ne savait pas ??? pas son nom.
Au moins si on les présentait elle aurait l’air naturel. (Enfance en pension sans argent et sans compagnie. Peu de copains dans les internats qu’il eut envie de revoir. Fermé sur lui mais avide des autres, ces inconnus. Chaque autre lui semblait détenir des secrets dont il savait, lui, décrypter, épanouir l’usage. Comme don Juan avec les femmes, il avait faim, soif, besoin d’étonner et séduire, fut-ce le mendiant du coin, les vendeuses ou caissières des boutiques, les gens du garage. Régner c’est étonner, plaire, c’est aussi contredire, ??? troubler.

Delphine Daly se rappelait mot à geste comment debout dans le couloir du wagon, leur ??? servait de siège ou d’appui. Comment dans le mélange des voix ???
« Les chiens supportent tout. Pas les chats. Ils ne savent pas - comme nous - manifester ».