Notes sur Drieu La Rochelle

Au cours de notre séjour à l’Abbaye d’Ardenne, Jean-Paul Fargier et moi-même avons été frappés par la minutie extrême – et la quête quasi obsessionnelle- avec laquelle Dominique Desanti préparait ses livres : biographies, « romans-vrais », romans, essais ou textes journalistiques divers…
Nous avons, en effet, trouvé dans les archives de l’IMEC, des masses innombrables de notes (dont une grande partie reste encore à ce jour inexplorée) prises par Dominique Desanti sur toutes les formes possibles de supports : feuilles volantes, petits et grands carnets ou cahiers, blocs divers et variés etc.
Voici, par exemple, quelques notes prises au cours d’une de ses rencontres avec Emmanuel Berl qui donnent une idée de la précision du travail qui a précédé à l’écriture de son Drieu La Rochelle ou le séducteur mystifié Flammarion, 1978 (rééd., Drieu la Rochelle, du dandy au nazi, Flammarion, 1992, 476 p.
(C. G.)

DRIEU : Emmanuel BERL : 36 rue Montpensier
Tel : RIC 74 20
28 mai 1976 à 17h
E. B. :édenté à pace maker
Etendu du côté gauche sur un divan couvert d’une étoffe persane à applications, avec des coussins en opposition. Parle du premier discours de Pétain qu’il a fait et qu’on lui a reproché.
Parle de Munich qu’il se félicite d’avoir approuvé
parce que les Tchèques ne se défendaient pas
parce que les Russes n’étaient pas prêts ni les Français
parce que les Anglais n’étaient pas les Allemands
et les Allemands pas les Anglais
pense qu’aurions subi « catastrophe pire »
La Rhénanie ? Son réarmement ?
Canard enchaîné « Les Allemands ont envahi l’Allemagne »

Malheur de l’intellectuel français
Se voit toujours obligé de prendre parti
Corneille
Chateaubriand
Victor Hugo
Le reste a suivi

Contemporains
Drieu croyait dans talent d’Aragon.
Moi pas car il n’a rien écrit qui ne soit un pastiche.
Ses romans ? Breton m’a dit qu’il se voulait disciple de Jules Romain.
(Note : E.B. mêle un peu les dates).
Moi je croyais plutôt en Breton.
Intime avec lui je l’étais.
D a donné à « Marianne » un reportage sur la Tchéco. Il y disait quelle sottise ce nom qui ne dit rien. De fait si on avait dit Bohême, la face du monde en aurait été changée.

Femmes
D en avait beaucoup.
Sa femme Colette était médecin, travaillait dans labo, avait de l’argent. Le père en avait.
A donné de l’argent à D lors de leur divorce.
Connie Walsh1 femme d’homme riche, avec enfants en 1924 (?)
A Guéthary il a fait venir Aragon.
Sans argent, il lui donnait mauvaise conscience.
D croyait qu’elle ne retournerait pas en Amérique. Elle y est retournée.
Entretenir D ? Oh certainement pas.
Pendant l’occupation D était avec la femme de Louis Renault 2. Vous avez dit que sans sa liaison malheureuse, et rompue par elle avec Connie Walsh, D aurait été moins anti-américain en 1940 ? Alors était-il antisémite à cause de sa femme ? C’est vrai, il m’avait dit que les Américains étaient incapables de gagner la guerre, que les Anglais - comme nous - l’avaient déjà perdue, que les Russes étaient vaincus d’avance. La splendeur des SS n’était-elle pas garantie de victoire ?
Il était antisémite parce que la France l’était en ces années-là. Cela s’est manifesté à l’Occupation mais c’était vrai pendant le Front populaire. Oui, à cause de Blum.
Il l’était donc.
Le père adoptif dans « Gilles » ? Non je ne lui ai jamais connu rien de tel. De plus le personnage est si conventionnel, si tout d’une pièce, qu’il doit être à coup sûr inventé.
Un Maurras (?mot illisible peut-être « breton » ?)
C’en a tout l’air.

Mais s’il devait réagir dans sa vie politique à rebours de ses femmes, il aurait dû entrer dans la Résistance étant avec la femme de Louis Renault.
En 44, Madeleine Jacob cette pourvoyeuse avait réclamé son arrestation.
Sa femme le cachait dans son labo à Fontainebleau.
Il a fait 3 tentatives de suicide à ce moment-là.
J’ai eu beaucoup de mal à décider Gaston Gallimard et Malraux à faire quelque chose pour lui. Malraux m’avait dit « Je m’en occuperai » mais en fait…
Gallimard a édité le Récit secret à contrecœur.
Eluard…

Sa présence ? Un charmeur, un séducteur. Evanescent. Je le raconte. Soudain à la sortie d’un déjeuner, il n’était plus là. Disparu sans que j’aie su comment et où, sans que je l’aie vu partir, c’était lui.

Aragon ? Oh ! C’était très curieux. Drieu qui n’était pas, oh mais là pas du tout homosexuel m’entretenait pendant des heures de l’homosexualité possible, latente, réprimée, refoulée d’Aragon pour savoir jusqu’à quel point il le savait, en usait ? Cela m’ennuyait mais comme je parlais de mes histoires à Drieu pendant des heures, je ne pouvais rien dire. Ils se sont brouillés pour une femme dont Aragon était - ou se prétendait- comment savoir avec lui ? - amoureux. Elizabeth Eyre de Lanux. Drieu avait dit « Quand je la baise je ne sais jamais si je la touille. » Il l’avait eue pour maîtresse c’est vrai. Aragon s’est fâché. Ils en sont presque venus aux coups.

Gilles ? Tellement invraisemblable dans ce complot de l’Elysée. Le personnage de Galant-Aragon aussi est invraisemblable. Mais cela nuit au roman (?).
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1 : Parmi ses conquêtes se trouvent aussi Constance Wash, surnommée Connie (la Dora de Gilles), Marcelle Janniot, Suzanne de Vibraye, l'Italienne Cora Caetani, Emma Besnard (la Rosita du Journal d'un homme trompé), la décoratrice Élizabeth Eyre de Lanux, Suzanne Tézenas qui eut aussi une liaison avec Nicolas de Staël20,21. Il est attiré plus particulièrement par les femmes argentées et oisives et n'a jamais eu, de même que son ami Aragon avant sa rencontre avec Elsa Triolet en 1928, scrupule à se laisser entretenir ( trouvé sur le site Wikipedia à l’entrée “ Drieu la Rochelle”)

2 : En 1935, il croit qu’une vie de famille est encore possible. Mais il est déjà trop tard. En janvier, Christiane a rencontré Pierre Drieu La Rochelle. « Je ne suis qu’un amant, un sale amant », déclare l’écrivain qui transpose sa relation tumultueuse dans le roman Beloukia, paru l’année suivante. Drieu La Rochelle, ancien combattant, écrivain de talent et zélateur du régime nazi, fait partager à sa maîtresse les errances de ses engagements politiques. Sous son influence, Christiane milite pour le PSF de Déat à Giens, écoute une conférence de Doriot en avril 1937 puis déjeune en compagnie de l’ancien militant communiste le 19 mai suivant. Drieu lui présente aussi Otto Abetz quelques jours plus tard. Et cette comédie politique est ponctuée d’une vie culturelle intense. Christiane Renault rencontre Picasso, écoute Furtwängler, lit Giraudoux, Nietzsche, Mauriac et Renan puis s’initie, grâce à son amant, à la mythologie grecque. Louis Renault débute alors une liaison extra-conjugale avec une jeune actrice, Andrée Servilange.(trouvé sur Le site de Louis Renault Une aventure industrielle)