ANNE PERSKY Cahier: Livre des erreurs I. 21 nov. 1931-10 aot 1932. Texte transcrit et prsent par Claude Mignot Postface: Impressions par Hourya Benis Sinaceur 2014 Ill. 1: Le cahier dAnne Persky, 1931-1933. Prsentation A la mort de Dominique Desanti, en avril 2011, nous avons trouv un cahier dՎcolierʈ couverture orange Librairie Classique Gibert, sur une table, prs du bureau o elle crivait. Le texte manuscrit, rdig au stylo avec une encre bleu ciel, puis noire, se prsente comme un journal tenu de manire irrgulire, du 21 novembre 1931 au 10 aot 1932, cest dire pendant lanne de son Bac, et repris du 10 novembre 32 jusquau 28 janvier 33, lorsque commence sa premire anne de licence la Sorbonne. Ce texte que la jeune Anne Persky nomme dans la premire phrase le Livre des erreurs est trs diffrent des journaux intimes des jeunes filles de cette poque: cest le journal de sa pense, plus que de ses sentiments, une jeune pense qui veut se former en crivant. Apprendre penser, cest la chose principale, et mme notre seule finalit , note-t-elle trois lignes plus loin. Au fil des semaines, elle dveloppe des rflexions largement inspires par ses lectures et ses cours de philo: elle cite abondamment Bergson, puis Platon et Kant, tandis que Nietzsche la dconcerte. Cinq mois plus tard, le 17 avril, elle note: Mes lucubrations pdantes et maladroites du dbut de lanne me font horreur. Je naime plus la philo, puisque cest un devoir. Je ne saurai jamais faire avec got, joyeusement, ce qui mest impos. Elle y revient pourtant plusieurs fois, aprs des cours passionnants Mais le soir du 3 fvrier 1932, dont la journe a t baigne dun beau soleil presque printanier, elle note: Lide dune nouvelle sest labore en moi. Je ne sais plus ce qui la suscit. Je lՎcris pour en retrouver le plan. A partir de l, le journal bifurque: les pages sont occupes presque entirement par des notes sur cette intrigue et ses personnages. La nouvelle dabord intituleAlain Brovant est renomme Chocs. Un mois plus tard, le dimanche 6 mars, elle constate: Chocs en est rest la venue du jeune journaliste parisien. Je ne pense pas le reprendre avant la mi-juillet. En fait, elle doit se recentrer sur ses tudes, bac oblige: D. 17 avril. Bac approche; apprhension, etc. Aprs le 19 mai, le cahier est mme laiss de ct pour nՐtre repris que le 12 juillet, dans lattente de loral du Bac. Le 22 juillet elle note: Pass loral: mention assez bien () Maintenant je suis bachelire s lettres, et en novembre tudiante en droit, et quelques lignes plus loin, en pensant sa vie dՎtudiante en licence: les trois plus belles annes de ma vie commencent. Le sens dominant du cahier sest inflchi une nouvelle fois.Le 3 aot, elle crit: Mon cahier devient de plus en plus un journal, plus jamais rien dintressant. Ce tournant a t pris ds le mois de mai. Elle se souvient des ʎlans de son enfance, elle note ses rflexions surses dsirs de gloire et son destin de femme, elle rve aux garons entre exaltation et dceptions. Dans ses pages, la jeune Anne se fustige avec svrit, regrette lomniprsence du Moi, mais pour nous, ce sont sans doute les pages les plus mouvantes, les notations les plus personnelles de la jeune Anne Persky en sa dix-huitime anne, comme elle lՎcrit le 23 juillet1. Ses rflexions philosophiques ont naturellement quelque chose dun peu scolaire, et son esquisse de nouvelle doit beaucoup aux romans de lՎpoque, Maurois, Mauriac, Gide, mais elle nest pas dupe de ses navets, et on entend dj la voix et les passions de la Dominique que nous avons connue. A lire ces pages, on peut suivre plusieurs fils: relever tout ce qui la rattache encore son milieu, tout ce qui au contraire prfigure la femme libre quelle sera. Si elle marque une certaine distance avec la religion elle ne se situe pas parmi les vrais croyants-, elle affirme son admiration pour le Christ, comme pour la vie des religieuses clotres, et son rejet de lathisme, dans lequel elle ne voit cette date quun snobisme bourgeois. Ses lectures sont celles dune lycenne de bonne famille, essentiellement des romans contemporains: Gide et Mauriac, et mme les plus rcents: la Naissance du jour de Colette, 1928, Malaisie dHenri Fauconnier, prix Goncourt 1930, le Cercle de Famille de Maurois, paru en 1932. Proust est cit, mais rien nassure quelle lait vraiment lu. Peu dallusions des classiques: les Essais de Montaigne, Mme de Svign, Rousseau dont elle est trs distante. Rien sur les grands romanciers du 19e, sauf deux allusions la Mathide de La Mole de Stendhal et la Madame Bovary de Flaubert. En philosophie elle est sous la dpendance de son professeur de philo et du manuel dArmand Cuvillier: Bergson dabord, car le programme et le Manuel commencent alors par la psycho, puis Platon et Kant, quand on passe la mtaphysique et la morale, tandis que Nietzsche, quelle a admir plus jeune, la dconcerte maintenant. Peu de confessions intimes, mais beaucoup de rflexions personnelles aigus. Outre une brve mention toute limmigration russe de Paris lors de lenterrement dune amie denfance le 14 juillet 32, quatre lignes qui commencent par nous autres slaves (surtout les femmes), semblent les seules allusions distancies ses origines, mais, lorsquelle interprte le conflit avec ses parents, comme une lutte ethnique, rvolte dune individualit contre une race, il y a une vraie analyse psychosociologique. Dans ses rapports aux garons, la tte reprend vite le contrle, mais ce double mouvement dՎlan et de retrait est au coeur de ces notes. Rien ou presque rien sur ses amies et camarades. Rien non plus sur sa famille, sinon le 30 juillet, aprs son succs au Bac, le constat dun dsaccord profond, tempr cependant par ladoration quelle a pour son pre, qui rsiste mme aux pires bouffes de colre. Plus curieusement, aucune allusion directe lactualit politiqueet internationale. Ces proccupations si dterminantes ultrieurement dans sa vie napparaissent ici quimplicitement avec le nom de M. Boegner, en fait Henri, et non Marc, qui revient trois fois, trace dune sympathie qui sera fugace pour lAction Franaise, comme le montre la fin du cahier. Le 10 aot, Annie Persky est au bord de la mer, dans la station balnaire familiale des Petites Dalles, prs de Fcamp, o elle ftera ses dix huit ans. Elle ne reprendra son cahier que le 10 novembre 1932, quand commence sa vie dՎtudiante en droit et en lettres. Cette seconde partie du cahier, qui nous mne jusque fin janvier 1933, fera lobjet dune livraison ultrieure. Claude Mignot Ill. 2. Cahier dAnne Persky, 22 juin [pour 22 juillet] 1932 Note sur lՎtablissement du texte: Les sept premires pages du cahier sont numrotes la main. Dans notre transcription, nous signalons pour ces premires pages le passage la page suivante par une double barre //, et nous notons la numrotation manuscrite des pages entre crochets [2] [7]. Lorsque cette numrotation disparat, nous cessons de marquer le passage dune page lautre. Les pages du manuscrit ici reproduites et ces sept premires pages de transcription, o la pagination est signale, suffisent donner une ide de la disposition matrielle du texte. Pour la commodit du lecteur, nous avons soulign en gras les dates, ce que le manuscrit ne fait pas. Pour le reste, nous avons cherch rester au plus prs du texte en conservant les rares fautes dorthographe et les quelques lapsus, mais aussi en transcrivant les ratures, qui restent le plus souvent trs lisibles et en signalant les principaux ajouts entre les lignes. Lindex des noms et la table des matires, que nous avons tablis, permettent de se reprer dans le texte, et den lire de manire synthtique la configuration. Merci Jacques Sdat pour sa relecture attentive de la transcription. C.M. Ill. 3. Cahier dAnne Persky: premire page, 21 novembre 1931. 1931 S. 21 Novembre. Jappelle ce cahier le Livre des erreurs, car il contiendra toutes les fausses dmarches dun esprit qui apprend penser. Apprendre penser, cest la chose principale, et mme notre seule finalit. Quimportent, auprs de cela, toutes les sottises qui remplissent les rves de lenfance: gloire, postrit. Elles nont pas assez de consistance pour que nous tendions vers elles. Ce sont des accidents qui couronnent des trouvailles particulirement heureuses de la pense. Avoir un esprit puissant, et qui sache analyser, puis percevoir et embrasser dun coup le problme de la vie, cest le seul but en vue duquel toutes les contractions de notre cerceau ne// [2] sont pas superflues. Puisque notre intelligence est essentiellement faite pour comprendre, aiguisons-la de manire concevoir un ensemble de plus en plus grand. Il faut savoir articuler sa pense; la parole claire dune lumie clart plus intense tout le processus de la comprhension. Pensons avec style. Le style peut tre voulu, mais non forc; il ne correspondrait plus alors sa dfinition mme. Il faut surtout fuir les mots inutiles; une image est rarement inutile, si elle participe de lart. 23 Nov. Lattention est lhabitude la plus ncessaire pour penser. Rien nest pire que de reprendre et dabandonner des ides au hasard, comme des perles de couleur avec lesquelles joue une enfant.// [3] Il faut simposer la pntration. Le lyrisme sans moi est bien plus pntrant que lautre. Il nest utile dՎcrire quafin de prciser. La pense doit tre articule pour tre claire. La rverie par symboles, par images, cre de grands malentendus entre lՉme et soi. Lindiffrence est un tat fuir, mais non pas lobjectivit. Elles nont dailleurs que fort peu de choses en commun, car on nanalyse pas quand on se dsintresse, et on ne discute quavec attention. Merc. 9. XII. Sur la prface des Souvenirs denfance et de jeunesse: Les vrits de Renan ont cette profondeur des choses pour lesquelles on a beaucoup souffert. Sa croyance au progrs est une le rsultat dune lutte immense; il a le mrite de proclamer ce// [4] quil na pas tout de suite os croire. Les vrais hommes de progrs sont ceux qui ont pour point de dpart le profond respect du pass: la meilleure justification des thories ractionnaires. Vouloir continuer le pass selon une autre courbe; la thorie de lՎvolution bergsonienne. Bergson donne le meilleur argument philosophique, ou plutt psychologique, par cette thse. Evidemment, il dit aussi que le prsent enrichit le pass de son exprience, mais cette continuit de la vie montre labsurdit des changements brusques, de ce que les anarchistes appellent le chambardement. Labsurdit, mais plus encore limpossibilit. Comment veulent-ils rebtir quelque chose qui nait pas dattache dans les // [5] sicles, pas de prcdent? Ont-ils la prtention de faire changer son processus la vie? Les rvolutionnaires ne sont pas seulement des utopistes, ce sont encore et surtout de purils vaniteux. Leurs systmes? bulles de savon si gonfles quelles crvent avant mme de senvoler. La politique, si elle ne sappuye pas sur la psychologie, est inexistante. Non pas sur ce quon appelle vulgairement psychologie, mais sur la philosophie vraie des mes. Les hommes daction sont des visuels-moteurs: ils ne savent pas comprendre, ils ne savent que saisir une ide. Pas dintellection vraie. La grande chose, cest approfondir. On construit aprs. Ou plutt, la construction se trouve ralise delle-mme: le schma dynamique est au // [6] point jusquen ses dtails extrmes. Ne jamais adopter une notion imprcise. Sacrifier la grandeur la clart. Foin de la brume! Il est trs commode de faire paratre profond ce qui nest pas net. LArchgte, idal que lhomme de gnie incarne en ses chefs duvre, jaime mieux tre le dernier dans ta maison que le premier ailleurs. O Athna comme tu mas reconquise! Ce quil y a de tellement gnial en Bergson, cest quil est la fois absolument neuf et trs comprhensible. On trouve de tout chez lui. On se sent dans une atmosphre particulire que ne donne que le gnie: Eupalinos. // [7] 10. XII. Comte attribue trois tats lesprit humain et croit quil sarrtera au positivisme, se contentant dexpliquer un fait par un autre: et sil voluait plus loin? Et sil crait un quatrime tat? Il est clair que nous sommes, que la collectivit est arrive au col positivisme; mais pourquoi vouloir que le cercle soit ferm? Il est trs possible quun nouvel tat se dcouvre. Jusquici je ne connais pas (mais que says-je) de raisons positives pour nier la perfectibilit de lhomme. Si ce quatrime tat ne sest pas encore manifest dans lՎvolution de lindividu, cest que celui-ci nest pas non plus arriv son dveloppement complet. Comme argument, nous avons lՎtat positif incontestable de la jeu- // nesse actuelle. Donc lՉge adulte reste disponible pour un nouvel tat. Mais dans combien de milliers dannes? Lhomme primitif nՎtait que thologique et le restait durant toute sa vie: voir les ngres soudanais. Seulement, dautre part, la mtaphysique a occup des vies entires, et trs prs de nous. Le quatrime tat devrait donc coexister avec les autres. La matire et les sciences instruments de la psychologie nont pas le droit dՐtre ddaigns. Ceux qui veulent ne pas tenir compte de la matire (Renan) sexposent btir non seulement en lair, mais sans briques. Cest ce que les thologiens ont compris. Sabstraire de soi naurait aucun intrt, car le psychique est trop subjectif pour permettre denvisager autre chose. (Flaubert ressentant par la pense les effets du laudanum: autrement, sa mort dEmma Bovary naurait t quune froide lucubration mlodramatique). On nest fort quen contrariant la nature (Renan). 14. XII. La curiosit pure a-t-elle le droit dexister? Cest le suprme triomphe sur la matire que ce ddain de lutilitarisme, et ces spculations sans but immdiat. Malheureusement, la matire est assez forte pour nous contraindre prendre en elle notre point de dpart. Les spculations dans le vide mnent toujours des erreurs. Il faut constamment sappuyer sur la chair. Elle est la directrice autour de laquelle tourne lesprit gnrateur. 1932 Vendredi 1er janvier Se concentrer; oublier que des gens essayent de conjurer le sort par une gat factice, et une attitude dexception; tre soi au dbut de lanne. Ou plutt, non. Mme pas; simplement accueillir lanne en fonant en avant par la pense, entrer de plein pied [sic] dans lan nouveau, tel quon est, sans dissimuler, et attendre ce quil apportera. Notre avarice attend toujours de lavenir un trsor quil tiendrait en rserve pour nous seuls. Cest la vie seule qui nous enrichit. Ceux qui se clotrent restent ternellement pauvres, puisquils ne gardent que ce qui est inn. - Oui, mais ne gagnent-ils pas en profondeur ce quils perdent en tendue et en nombre? - Navez-vous jamais remarqu combien le pauvre a des joies plus affirmes que le riche, moins grossires, moins bruyantes, moins disperses? Je ne demande lanne nouvelle quune chose, ou que deux: mapprendre penser, me donner de nombreux documents qui puissent former un tremplin pour mes constructions. Lundi 4. Notre attachement au monde extrieur, et, je dirai plus, ce que le monde extrieur comporte de plus momentan et de plus frivole, est si fort que le moindre prtexte nous fait abandonner mme les choses pour lesquelles nous nous sentons faits. Dcomposer les sentiments dune personne dtermine, qui est soi, est aussi facile que de construire dans le vague des ides gnrales superficielles: la difficult rside dans la concidence des deux choses. Ecrire ce qui se passe en soi est fade, facile, peu intressant. Voil pourquoi il y a tant de confessions en littrature, et pourquoi chacun se vante que sa vritable personnalit rside l. En gnral Le naturel est relch; cest pourquoi on le loue. Bcp de difficults mtaphys [sic] naitraient donc peut-tre de ce que ns brouillons la spculation et la pratique, ou de ce que ns poussons une ide dans la direction de lutile, alors que ns croyons lapprofondir thoriquement, ou enfin de ce que ns employons les formes de laction penser Bergson (Mat et Mmo.) Mardi 5 Les romans, les fictions, et presque les dtails sensibles de la vie, ennuyent un peu les tres tant soit peu habitus penser gnralement. Le particulier irrite trs vite. Ce quil y a de si merveilleux dans la vie, cest lՎcoulement mme des heures diffremment meubles. La vie, cest une trange chose qui comporte dans son existence mme toute la suite des surprises et des merveillements. Dans la vie la plus ennuyeuse, certaines heures font sentir la plnitude dun tre humain. On ne vit que pour soi; voil la plus grande jouissance. Tout le bien quon fait aux autres, cest pour soi quon le fait, vrit premire et enivrante. On se fatigue de tout, sauf de penser, de regarder, dimaginer, enfin de vivre. Qui donc a dit que le suicide nՎtait quun manque de courage momentan pour affronter une heure difficile? Le suicide ne doit sans pas rsulter dune lassitude lente, mais dune heure tragique. Peut-tre est-ce pourquoi son hrdit reste problmatique. Comment comprendre un homme qui se prive de tout, sil est de sang-froid? Et la lassitude devrait comporter le sang-froid. Sil fallait vrifier toutes ses hypothses, on passerait les trois-quarts de son existence intellectuelle expliquer le dernier quart et cela nen vaudrait plus la peine. La littrature empoisonne: elle fait voir faux. Elle oblige ressentir certaines choses, elle suggre des attitudes, elle esquisse dans le cerveau une ide de rle. Penser, cest sappliquer les choses quon apprend. Rien ne donne plus de dlice que de faire en soi-mme ou dans le monde une dcouverte, de porter soudain en soi une ide nouvelle, on se sent tout le jour comme soulev, et trs joyeux. Mercredi 6. Aprs avoir dmont un mcanisme humain, on se sent plus quhomme. La psychologie est la plus orgueilleuse des sciences. En gnral, aussitt que nous avons bien compris les mobiles dun acte, nous nous sentons plus puissant. Nous possdons cet acte, puisque nous le connaissons. La connaissance, cette cest la forme le plus subtile, la plus complte et la plus dlicieuse de la richesse. Jeudi 7. La vocation de Wagner fut tardive, voil qui dmolit les thories romantiques sur limpulsion inspire, etc. Nous nous imposons parfois des convictions. Cest paradoxal dire, mais elles arrivent tre sincres. Leau bnite dabord. Parfois des tres adoptent des opinions qui semblent contraires leur nature mme; mais cest quon trouve toujours avantage faire effort. Cela discipline les forces. Le gnie, ce sont des tendances disciplines. Lapparence extravagante quadoptent parfois certains grands hommes vient prcisment de cette mise en ordre de toutes leurs facults en vue dun seul objet. Ils ne peuvent plus prter attention aux sollicitations trangres; ils deviennent originaux. Parfois aussi, on sՎtonne de trouver les grands hommes si ternes; ce sont des conomes qui se rservent pour le grand uvre et ne se laissent pas disperser. Bergson a dj dit que la vanit tait une preuve de modestie. En effet on se laisse aller p On ne fait effort pour plaire que lorsquon nest pas intimement persuad de sa valeur. Cest en grande partie de leur sentiment de faiblesse que vient la coquetterie des femmes. Elles nont que ce moyen l pour se prouver elles-mmes quelles existent, ladmiration des autres est leur seul point de repre pour sapprcier. La plus belle chose que puisse nous donner la vie, cest de se sentir vivre, de sentir quon est. La certitude davoir fait quelque chose qui mrite de rester rend terriblement indiffrent envers la fortune. S. 30 janvier Cest mme la vie quon puise la puissance et la pense. Lamour de la vie, voil la grande chose, la chose paenne et mystique. Oui, mystique, car le Christ lui-mme a pleur pour des souffrances de chair. Cest dans la Nature quon adore lEsprit. Le grand mythe chrtien qui nous a tous marqus dune empreinte trop profonde pour ne pas rester ineffaable a glorifi la puissance de la chair par la dfiance mme quil a delle. Les thologiens savaient que la ferveur scolastique ne rsisterait pas lappel de la sve terrestre. Les grands mystiques furent ceux-l seuls qui avaient ressenti lenvahissement des forces vives, lappel de la glbe et des hommes, ce dsir immense de replonger lesprit dans la cellule matrice, de lhumilier devant cette matire quil veut vaincre. Les hommes sans dsir nintressent pas la divinit, car ils ne lui apportent point le grand souffle de la Matire, ni la joie chrement acquise du triomphe spirituel. Pour vaincre la chair, lesprit doit la connatre, pour la connatre, il doit avoir abdiqu devant elle, ne fut-ce quune fois, avoir senti son emprise, avoir conu contre elle cette haine amoureuse qui seule permet les grands combats. Il doit avoir compris combien facilement on se noie en elle, et quil doit se tendre se concentrer, saiguiser pour afin de la pourfendre, afin davoir envers elle une attitude de juge darbitre en mme temps que dennemi, afin de la dominer. Le jugement est lopration intellectuelle par excellence: lesprit travaille sur la matire, et sobserve lui-mme, se voit la jugeant. Tout triomphe spirituel exige sa base une confusion de lIntelligence, et de lInstinct, puis un triomphe de lIntelligence: de l laccueil, la recherche de la brebis gare. Barrs disait: Lintelligence, quelle petite chose la surface de nous-mmes. Et Bergson proclame que lIntelligence ne peut quenregistrer, que comprendre. Les progrs de la connaissance humaine, accomplis par -coup, au moyen de lIntuition. Mais justement, si ces progrs nՎtaient pas compris, classs, ordonns, nous nen prendrions mme pas conscience, |nous nen aurions pas la notion [membre de phrase ajout aprs coup], ce ne seraient donc pas des progrs. La logique, c est la grande victorieuse de la Matire, puisquelle la dissque. On soumet ce que lon comprend. Lorsque je classe, je vaincs. Lesprit synthtique est-il suprieur lesprit analytique? Que faut-il adopter, la dissection aigue ou la reconstitution, aussi complte, aussi globale, aussi dynamique que possible? Sans doute lun aprs lautre. Il faut dabord possder les rouages. Mais, autre question, lanalyse, lobservation, donne-t-elle bien les lments; les possde-t-on par une opration intellectuelle, comprhensive? Ou bien ne vaut-il pas mieux saisir les l fondements par lincorporation? Brasser dans son exprience, tout ce quon peut percevoir de la vie, la reconstituer ensuite, mais de haut, en la dominant? Non lanalyse spirituelle intervient forcment alors. Voltaire et France doivent passer avant Bergson et Schopenhauer. Les tres jeunes doivent tre des analystes; sans quoi ils deviennent des chimriques. Voltaire ne dtruit que des illusions, non des enthousiasmes, car les enthousiasmes ne peuvent tre dtruits. La plus dangereuse des lectures de jeunesse pour lesprit: Rousseau. Cest lui quon doit les innombrables jeunes existences songe-creux qui, de 1789 1914, btirent leurs Icaries en gilets de velours, de leurs mains aux ongles vernis. Toutes les folies des dcadents se rattachent par quelque ct Rousseau, et les dcadents sont presque toujours des jeunes. Tout cela prend lair dun insoutenable paradoxe: comment lhomme de la nature a-t-il pu produire nos jeunes invertis? Voltaire et le scepticisme ne les ont-ils pas beaucoup plus guids dans la voie du laisser-vivre et de la non-contrainte. Non, car Rousseau leur a appris tre irrationnels, et cest ce quil y a de terrible. Rousseau leur a appris crire avec des points dexclamation, et cest ce qui a mis tant de dsordre dans leur cerveau. Rousseau leur a transmis, non ses mercuriales vertueuses, que personne ne prend au srieux, mais cette morbide exaltation qui empche lesprit critique de se former. Rousseau a cr la tradition de limpressionnisme littraire. Dieu existe parce que je le sens. Tout cela Trs bien, pour un tre dont la facult de juger est faite, solide, saine, et a cherch des raisons tout. Alors Celui-l peut sadonner lenthousiasme, qui a dabord voulu comprendre et voir. La perception confuse doit tre analyse avant dՐtre affirme. Les jeunes exalts que nous devons Jean-Jacques nont jamais pris la peine de discerner quoique ce fut. Jaime, disent-ils, et cest beau Il faudrait pouvoir dire: cest beau parce que , donc jaime. Il ya des raisons tout. Il ne faut pas transposer lenthousiasme sentimental sur le plan de la pense et nous donner des sensations pour des jugements affirmations encore moins des croyances. Il ne faut sexalter quaprs avoir compris. La foi, synthse, peut prexister lexamen, mais elle est alors spirit inexistante au point de vue intellectuel. La foi daprs lanalyse est seule le grand Elan. Le 2 fvrier 1932. Il faut mener de pair la vie affective et la vie intellectuelle. Les sentiments, les vnements sensibles ont, que nous le voulions ou non, une trop grande influence sur lesprit pour que les revirements de la pense puissent sexpliquer deux-mmes. Admettons mme que le sensible ne soit que le prtexte, loccasion de lintellectuel; il reste nanmoins indispensable connatre. Dailleurs est-il possible de classer si parfaitement? Notre immense, notre interminable monologue intrieur dpartage-t-il ce qui a une cause extrieure et ce qui est purement abstrait? La vie interne, seule, importe. Elle seule, par son ardeur, donne sa valeur lՐtre. Certaines vies clotres se desschent, et certaines autres samplifient, sapprofondissent en une merveilleuse richesse cache. Il faut ressentir, et comprendre. Tout le reste est vain. Les vnements nont que peu dimportance. Un psychique plus original se manifeste parfois dans une vie de campagnard qui prend cur la glbe et la nature que dans celle dun coureur daventures. Il est vrai que cest p que les tats originaux sont plus facilement provoqus par lextraordinaire. La solitude est particulirement dense. Combien de dployements elle permet! SՎtendre dans un lit, dolente, avec un malaise juste assez grand pour que laction cesse de vous solliciter, et se regarder vivre. Se poster derrire son cerveau, observer le flux des images, des associations dides, des dductions. Dabord, il vient comme le sentiment dՐtre dilu. Limmobilit rend le corps imperceptible lui-mme. On na plus la notion de ses membres. On participe lunivers. Lesprit rest individuel enregistre. Dabord viennent les bruits, ds que les yeux sont clos. Combien lexpression silence absolu est absurde! Paul Valry a dnonc que lerreur de Pascal gmissant sur le silence des cieux. On arrive assez vite ngliger les bruits. On senfonce vers lintrieur. Dabord il y a les sensations des organes internes. On croit sentir en soi le tournoiement des atomes, des lectrons. Puis la pense surgit se dgage lentement, comme un paysage matinal autour duquel la brume se dissipe. Elle est encore assez presque vide dobjets prcis et cherche son degr de tension. Elle se remplit. On arrive la maintenir assez haut. Puis une sensation interne un peu nouvelle, imprvue linterrompt et, dhabitude, lui faire descendre quelques degrs. La rverie reprend, les bruits simposent davantage, reprennent possession du champ de conscience. Les membres se manifestent. La batitude prend fin. Le soir, qui donne au bleu des teintes violaces laisse la vie se dtacher de laction. Il ny a gure que le soir que nous osions parfois quelques ides un peu neuves. Limpossible parait aboli, puisque lobstacle immdiat, la matire inerte, sestompe. Les spculateurs particulirement nbuleux donnent une indubitable impression de soir. Le tic-tac dune montre voque toujours pour moi la province cause de la paix, ou la maladie, cause de la calme solitude. Mercr. 3 fvrier La valeur dun livre tel que Claire de Jacques Chardonne est que rside dans cette puissance de reconstituer un moment de la vie intrieure dun homme. Il faut sattacher rendre toutes les nuances dun tat dՉme. Il ne faut mme pas ngliger les apports extrieurs; Dehors le premier soleil de fvrier caresse probablement les branches des arbres, le ciel est idylliquement bleu. Je suis tendue, sans disposition dՉme bien dfinie, jouissant du calme, du repos, de la disponibilit de mes penses. Je sais que jen pourrais en prendre une au hasard, et cette possibilit de choix veille des plaisirs de dillettante [sic] Je jouis de navoir maccommoder aucune action immdiate. Tout sestompe. Pas dobstacles, pas de lutte. Je ne me trouve pas contre la matire, cette gnratrice defforts. A la longue cette jouissance atrophierait la vivacit de raction de mon esprit; pour le moment je medlecte. Ma belle flamme de scolarit philosophique sՎteint. Jenvoye le Concours Gnral par-dessus monts et vaux et je concentre mes forces sur le dsir de voir juste; le dsir dintellection vraie. A mon ge, on a trs peu dides originales, et celles quon a ne sont que des commentaires [dduits] de systmes lus. Jaime pousser plus avant des penses peine indiques de Bergson, par exemple; et jarrive parfois leur donner une tournure que je crois personnelle. Mais ce ne sont que des dductions. Je ne sais pas encore construire. Je suis dconcerte en face de Nietzsche. A quinze ans je ladoptais, je menthousiasmais surtout, je crois, par convention. Il tait entendu quun esprit neuf et hardi devait sՎprendre de Zarathustra [sic]. De plus, la posie trs relle, le dynamisme vague, mais entranant de latmosphre nietzschenne me sduisirent sincrement. Et jaimais trop cette poque le nbuleux, le puissant, pour distinguer le vague davec le profond. Maintenant encore, je sens que je me laisserais facilement sduire. Je lis Les origines de la Tragdie. Jaime trop lart pour ne pas avoir tendance approuver. Mais la pense voit son rle se restreindre lexcs, et, chose curieuse, chaque fois que je vais me laisser emporter par le flot de Sils-Maria, je vois le fin visage mesur de Montaigne et son sourire. Alors je me dis; ces Germains toujours irrationnelsEt je me rappelle des passages des Essais pour comme antidote. Notre pense, lorsquelle a trop peu mani le rel, est terriblement hsitante. Il est trs difficile de juger, dans le sens plein du terme. Nos affirmations sont toujours sujettes repentir, ou bien elles se calcifient en prjuges, partis-pris, etc. Soir Lide dune nouvelle sest labore en moi. Je ne sais plus ce qui la suscit. Je lՎcris pour en retrouver le plan. Un jeune homme |Robert [le prnom est ajout aprs coup] fut interne dans un lyce de province, jusquՈ son premier bachot. Beaucoup dardeur pour la littrature. Un correspondant indiffrent, pre dun de ses camarades. Cet ami et lui ont vagabond travers la ville. Connaissance trs superficielle de la vie. Les deux jeunes gens sont encore vierges. Aprs son examen, Robert voit dbarquer son pre. Cet homme de 56 ans est presque un inconnu pour son fils. Il venait le voir quelques jours, dans lanne. Robert savait quil habitait Paris, quil tait avocat. Il ignorait mme tout de sa mre. Michel Borvant annonce son fils quil venait vient vivre avec lui. Il loue achte une petite vieille maison de province. Le pre est peu communicatif, le fils est renferm. Ils vivent en trangers lun prs de lautre, pendant lՎt. A la rentre, Robert fait sa philo. Il senthousiasme. Il lit aussi les auteurs modernes avec dvotion. Son ami Jacques linitie au culte de Valry, de Gide. Un jour, Jacques lui annonce larrive dune jeune femme de lettres, cousine de sa mre; celle-ci, dont Robert reste troubl, rvle aux jeunes provinciaux un matre ignor deux: Gilbert Varmont. Robert et Jacques lisent ses uvres. Ce sont des romans fivreux o lon sent comme un souffle de confession, trs rotiques. Certains chantent la passion de lhomme, dautres lamour de la femme. Style puissant, avec un grand lyrisme contenu. Robert est profondment troubl, dsax. Il demande la journaliste si elle a connu Gilbert Varmont. Elle lui dit quelle la connu, et quil a subitement disparu quelques mois auparavant, la suite dune aventure assez trange. Un jeune homme, auquel lunissait une amiti trs grande et que certains disaient pervers. sՎtait mari avec une femme plus ge que lui. Gilbert Varmont tait devenu un ami assidu du mnage, puis, subitement, avait disparu sans laisser de traces. Robert senthousiasme pour lauteur deLa douleur ardente; cherche pntrer les motifs de sa disparition et son sort actuel. Un soir, il ne peut sempcher de parler son pre de sa nouvelle idole. Celui-ci le regarde dun air trange, o il y a de lՎtonnement et de la dfiance, il lui dit: Bah! Tout a nest plus de ton poque, si tu savais comme cest faux, comme cest vide, comme les auteurs eux-mmes sont revenus de leur uvre! Puis il rentre dans son silence. Robert se sent de plus en plus attir vers la jeune journaliste, mais celle-ci beaucoup plus ge que lui, le traite en petit camarade sans consquence. Alors Robert se referme sur lui-mme. Jacques et lui ne rvent plus que de Gilbert Varmont. Un jour la jeune cousine de Jacques apprend aux deux amis quelle a vu Gilbert Varmont dans la ville. Les jeunes gens veulent le voir. Robert en se promenant avec Francine, aperoit son pre de dos. La jeune femme crie: Le voil. Cest Gilbert Vormont2. Robert est affol par la dcouverte. Il ne comprend pas, il ne peut pas comprendre la figure double de cet homme. Ici, je ne sais plus comment amener le dnouement; faut-il laisser le fils lire une confession de son pre, o celui-ci dit que le jeune homme, son ami, avait pous la mre de Robert, et quil ne pouvait plus vivre entre ses deux grandes passions, et laisser le fils en dsarroi, continuer de vivre en tranger en face de ce pre mystrieux? Je crains que ce ne soit pas trs vraisemblable. Comment un adolescent de 17 ans pourrait-il garder un tel secret? Et quels sentiments pourrait-il prouver en face de ce pre quil admire tant comme crivain et quil comprend si peu comme homme? Ne vaut-il pas mieux laisser le pre faire lui-mme cette confession au fils, ou lui donner les papiers? Dautre part, je dsire que le dpart du pre soit expliqu par une amiti ardente mais pure envers le jeune homme, et un amour persistant envers la mre de Robert. De plus Gilbert Varmont aura-t-il ou non rvl son jeune ami les liens qui lunissait son ancienne matresse. Je pense que Robert portera durant quelque temps le poids de sa dcouverte essayant de pntrer son pre, puis, fou de ne pas comprendre, lui avouera quil sait. Alors je dcrirai lՎtonnement de Michel Borvant, son effroi et son hsitation. Il ne saura que faire vis--vis de Robert. Il se sent dans une impasse; la vie de repos quil avait voulue lui chappe. Il lui est dsormais impossible de continuer vivre en tranger avec son fils. Alors il se dcide lui livrer on secret; il lui donne lire sa confession, qui ne devra paratre quaprs sa mort. Quels seront alors les sentiments de Michel Robert? Dabord jai rsolu de supprimer son amour pour Francine la jeune journaliste. Au contraire il devra essayer de bannir lamour de sa vie comme une banalit (la phrase de Colette dans La Naissance du jour). Donc, ce garon de 17 ans qui ne veut pas de lamour se trouve en prsence de lՎtrange conflit cas de son pre vaincu par lamour, ou plutt vaincu entre lamiti et lamour. Il ressentira dabord une admiration, comme devant quelque chose, dont il fut exclu, et quil ne peut contrler. Il sent que ce monde des passions mortelles lui est en partie ferm. Puis du dgot. Dgot devant le vaincu, lhomme qui a chang de vie, parce quil ne pouvait plus faire autrement, mpris devant cette faillite de la volont. Dgot et mpris mlang de piti et dun sentiment de rapprochement. LՉme de son pre sest ouverte lui. Lhomme a eu confiance. Il a compt sur le gamin pour comprendre. Robert veut se rendre digne de la confiance. Il treint son pre, silencieusement. La vie recommence, pareille, et pourtant change. Voil. Je crois que lamour, la sensibilit tiennent trop de place. Mais cela tient peut-tre ce quun expos soccupe toujours plus des faits que de latmosphre. Notre pense est tourne vers laction, dit Bergson. Il sera davantage parl de Robert Bovrant, de son veil la vie, de la disponibilit de son cerveau, et de son corps de ses enthousiasmes, que de laventure elle-mme. Il faut surtout que jarrive faire de Robert un tre complet, existant, et non pas un fantoche, une crature dimagination. Efforons-nous dՐtre vrais, et non pas par les situations, mais intrieurement. Non pas vraisemblables: vrais. Je pense que je ngligerai quelque peu le personnage de Michel; en tous cas tous les autres, Jacques Arnoux, son pre, Francine, ne seront que des comparses. On ne les verra quՈ travers Robert. pour ainsi dire Je veux dire quils ne seront caractriss que dans la mesure o ils joueront un rle dans la vie intrieure de Robert. Au fait jaime mieux appeler Gilbert Varmont Robert, et son fils Michel. Non, pas Michel, Alain. Et voil tout simplement le titre sans prtention, sans promesse (car il est des titres ambitieux qui ne tiennent pas les leurs, et doivent): Alain Brovant. Jai peur, trs vivement, de sentir trop prs de moi certains crits admirables comme les Faux-monnayeurs de Gide et Prsances ou Le dmon de la connaissance de Mauriac. Il ne faut jamais avoir peur. 6 fvrier Je lis ladmirable Blaise Pascal et sa sur Jacqueline de Mauriac. Quel grand crivain. M. Boegner3 nous a dit quune religion du peuple tait un acte de peu dhonntet, car on na pas le droit dimposer aux autres ce quon ne croit pas. On naurait le droit de dfendre que ses convictions Mais comment mettre des abstractions la porte de cerveaux qui ny sont point prpars, sinon au moyen de symboles. Et quest ce que le christianisme sinon le plus haut des symboles? Le Christ, cest lEsprit sous la forme absolue qui triomphe de la chair en lhumiliant de tout son pouvoir. Et il meurt fait mourir cette chair au milieu des plus grandes tortures pour montrer aux hommes combien peu elles importent, pour sauver la suprmatie de lEsprit sur la Matire. Le Christ est videmment divin, puisque lEsprit qui pitine la Matire, c.a.d. qui nen tient pas compte, qui est assez puissant pour se dvelopper au dessus delle, sans presque sappuyer sur elle, pour triompher delle absolument et constamment, avec un seul retrait, une seule dfaillance est vid surhumain. Nous, les hommes, nous pouvons, en effet, remporter certains triomphes sur la Matire, mais, comme dit Bergson, au moyen de retraits constants, davances brusques, dassauts donns par surprise, par lan. Ce magnifique symbole dun esprit non engendr, ou presque ml, attach la Matire, prouve d une trange magnificence de la Vie, et une direction plus forte dans le sens de lIntelligence que pour les natures habituelles, quon a parfaitement raison dappeler divins. Pourquoi donc serait-il coupable de faire adorer au peuple le symbole de lEsprit sous prtexte que certaines natures rpugnent aux symboles? Ainsi de trs grands esprits auraient t, et sont encore, attachs ces symboles au point de voir une la Consolation unique en eux, et on ne pourrait pas offrir des gens qui soccupent toute leur vie de besognes matrielles, cette vue sur lEsprit, sous prtexte que soi-mme, on prfre labstraction lՎtat pur? Le Christianisme, le Catholicisme surtout, dailleurs, est la religion des artistes, des crateurs dimages,et une trop profonde vrit en son essence pour que qui que ce soit puisse la ngliger. Je ne comprends pas lathisme, ou plutt je ne comprends que trop bien par quels points cette doctrine de purile satisfaction de soi-mme ravit certains tres quon peu qualifier desprits bourgeois. Ils sont l, incorpors leur engoncs dans leur Matire, et remplacent les triomphes de lIntelligence par une marche routinire de la pense, par des habitudes intellectuelles fleur de terre. Survient une doctrine qui leur montre quil ny a rien au-del de ce tranquille cheminement, quil ne vaut pas de sinquiter, quaucun Esprit inconcevable na prsid leur cration, que tout sexplique par soi-mme, quoi dՎtonnant dans leur avide approbation. Et comme la Matire se voit et que lEsprit se sent, ils peuvent, laise dans leurs preuves palpables, persifler ceux qui touffent dans lembrassement de linerte. Eh bien, il vaut donc mieux abandonner ces savants prisonniers de leurs trouvailles, enivrs de dductions, fous de causalit, toutes les vies tristes passes sans lueur et sans chappe,au lieu de leur donner un crucifix avec cette chair ensanglante et le regard lev vers lEsprit. Ne comprend-on que cest maintenant que tout devient de plus en plus inerte et mcanique, maintenant quil nest pas douvriers crateurs, mais seulement dobtus automates renouvelant indfiniment un geste, avec une adresse acquise et lesprit ailleurs, cest maintenant quun rappel dominical de la spiritualit et de lEsprit dominateur sont indispensables. Le pragmatisme de James est un peu primaire, mais la Soif inextinguible de suprieur et dabsolu doit tre satisfaite. Si lesprit ne combat plus la matire, il satrophie comme un membre inutile dans chez lhomme; mais nos progrs scientifiques qui devraient plier la matire lEsprit, rendent celui-ci esclave de sa conqute. Cest une banalit que de le dire, mais le danger est puissant. Bergson dit que lintelligence humaine tend fabriquer des outils. Soit. En ce cas, la vie moderne satisfait pleinement lIntelligence. Mais elle la dveloppe tant quil ne reste plus de place pour lIntuition. Celle-ci intervient rarement dans chez tout tre, mais elle finira par nintervenir plus jamais dans chez la plupart des tres si on te de la vie tout ce qui la pourrait provoquer, tout ce qui pourrait lui donner une occasion, un prtexte pour se manifester. La Raison est quelque chose de trs suprieur lIntelligence fabricatrice. La Raison qui, chez Pascal lui-mme, intervint avant la foi et la prpare, est le grand Principe, non seulement de la Connaissance, mais encore de la vie. Mer 10 fvrier 7 h. La neige! Matire qui tend, dapparence se faire esprit! Aprs une noire nuit, quil me faut appeler blanche puisque je ne perdis pas conscience et ne dormis point, cette neige merveilleuse dans le ciel blanc-gris, trs doux voir! Les passants et les arbres, silhouettes noires, nettes, ont lair dune lithographie. Les flocons tombent en une spirale foltre, ponctue de couronnes blanches. En ce moment, avec de rares vhicules, Neuilly4 a un air de village qui me ravit. Province, province! Mnagres avec le pain ou la boite au lait, employs, ouvriers, silhouettes noires. Les automobiles ont lair dmodes devant lՎternit fragile, le clacissisme [sic] de la neige. Les tramways et les autobus, encore illumins pour la nuit, ont lair vulgaire, et dplacs. Les murs de St-Pierre, eux, cadrent parfaitement avec le paysage et moi la fentre de ma cellule, dans un fauteuil, jai lair dune clarri hrone de roman anglais de prfrence. La neige cesse presque de tomber. Heureusement, les passants nont pas encore matrialis la blancheur des trottoirs. Dans une heure ou deux, je ferai un petit voyage dans le nant, mais bien truqu puisquon saidera dՎther pour me le faire accomplir5. Ether le joli mot! Et la matire sen accommode bien mal, puisque mon corps ne laccueille quavec peine. Nimporte, lheure est si calme, si en dehors de la vie, avec, justement, cette perspective dinconscience on dirait presque dun film surraliste o le pote plonge dans un miroir. Lheure ne se rattache rien dactif, dimmdiat, de prcis; et Faust me revient en mmoire: Wll ich zum Augenblicke sagen Veruteile doch, du bist so schn! Hlas on me balaye ma neige! Lundi 15 fvrier Dans ce lit dolent, jeus le loisir de moccuper dAlain Brovant. Je le vois avec les anneaux chtains de ses cheveux, dont lՎpaisseur et la broussaille lui donnent un air mi-romantique, mi faunesque, sa haute taille, ses longues jambes, son cou trop maigre o la pomme dAdam soulve un provoque une dissymtrie sans grce, ses grandes mains osseuses, ses yeux de teinte indcise, qui oscillent entre le gris, le jaune, le vert, enfoncs sous de longs et beaux cils droits. Il a les sourcils pais, le front large, avec , dj, dimperceptibles traces de plis, son nez est irrgulier, mais non dpourvu de caractre, ses lvres un peu enfantinement renfles, son menton ferme. Une peau mate galise sa figure, le protge des rougeurs subites auxquelles sont sujets les garons de 17 ans, lui donnent un air viril. Il est vtu avec cette correction ngligence correcte que les collgiens croient particulirement intellectuelle; cravate au vent, vestons dboutonns, pantalons sans pli. Il parle avec brusquerie et violence, comme sous lemprise dune subite inspiration. Il se passionne facilement; alors sa voix sՎtrangle, devient convulsive et rauque, notamment lorsquil discute ou quil essaye de persuader. En gnral il est silencieux et renferm, ce qui le fait qualifier de poseur. Il ne devient bavard que lorsquil se trouve en confiance et en sympathie; alors il parle dabondance, sinterrompt pour rflchir, repart. Il aime ʐtre deux, trois au plus. Dans un groupe, il se sent facilement inquiet, dpays, mis au rancart et se tait. Il a un orgueil spcial. Il naime pas quon le remarque comme tant quelquun de brillant, au premier abord. Il veut que les gens disent il est trange, essayent dapprofondir, travaillent sur lui et concluent: il est intelligent. Il sait que la plus grande prtention consiste en ce besoin dintriguer, mais il se justifie il ne faut pas se livrer. Il ne se passe rien, mais se blme sans grande duret, comme il gronderait un enfant auquel il vaudrait dmontrer son tort: tu vois, constate-t-il, tu nes mme pas capable de a. Il revendique avec fougue la responsabilit de ses actes M. 16 Voil pour lextrieur. Intrieurement, Alain est un tre qui cherche sa voie, au point de vue spirituel et moral, mais son caractre est plus dessin quil ne le croit lui-mme. Il est trs intransigeant sur certaines choses, sur ce qui se rapporte lՎlgance morale, notamment. Il mprise le mesquin: les faux fuyants, les petites filouteries, et il admet tous les vices, tous les crimes condition quils soient faits largement. Comme tous les garons de son ge, il ne trouve de beaut que dans labsolu. Mais chez lui se mle ceci un instinctif sens de la mesure. Alain est trop franais pour ne pas sentir les exagrations, mais il sinterdit den sourire cause du principe: toute exaltation est belle, tout recul est bourgeois. Car Alain donne encore au mot bourgeois son sens pjoratif. Il adore se sentir adorer et se force parfois un peu le faire. Il croit tout admettre parce que Les Faux Monnayeurs et Lafcadio sont ses hros favoris; mais il ne ladmet que pour sa gnration, ou pour les hommes qui sont loin de lui. En face de son pre il se trouvera offusqu non seulement par une hypocrisie norme, tel point quun peu dadmiration se mle son dgot, mais par le fait que cet homme ne rentre pas dans la catgorie des grands jouisseurs, son pre lui paraitra manquer dallure.et malgr toutes ses souffrances et la beaut de celles-ci ʐtre en dessous de son destin. Comme toujours lorsque des tres jeunes voient de prs un homme qui a beaucoup vcu et dont ils connaissent les aventures, Alain trouve que son pre nest pas la hauteur de son uvre et de sa vie. A cela se mle la rpulsion instinctive et involontaire dun temprament sain, neuf, naturel, devant les complications tortueuses de cet amour. Alain admet tous les vices, crbralement, littrairement pour ainsi dire. Il les trouve parfaitement acceptables pour des hros de roman, mais il ne sadapte pas eux. Sa nature se rvolte contre ce que ses principes admettent. Il se rend dailleurs mal compte de cela, il se lexplique en pensant: ce qui me dgoute, cest que cest mon pre qui a fait a. Sans sapercevoir de sa contradiction: sil admet vraiment tout (et il ne se pose mme pas la question, il la suppose rsolue davance), pourquoi ne pas ladmettre pour son pre? Mais Alain, nature saine, est dsespr dՐtre sorti dune chair aussi corrompue. Il lui aurait t peu prs indiffrent de natre btard (car il connat trop peu le monde pour connatre toutes les humiliations quil lui faudrait subir), parce quil connat les gestes de lamour physique et les trouve trop naturels pour sen formaliser. A ce propos une des grandes contradictions dAlain rside justement l. Daprs les rgles (c'est--dire daprs ses matres: Gide, Mauriac) lamour devrait procurer des dlices, des tourments et des remords. Or il a beau se forcer, il ne peut y trouver ni des joies surhumaines, ni de grands tourments. Il accomplit lacte de la possession avec le plaisir de satisfaire un besoin physique quelconque, et y pense assez peu aprs. Il se trouve manquer de grandeur et pense avec envie au temps de sa pubert o il rvait, inquiet, aux mystres des sens. Il conclut de ce calme quil nest pas sensuel, mais crbral, et en tire une certaine fiert. Envers son pre, ds larrive de celui-ci, il adopte une attitude trs volontaire: Il ne sest pas occup de moi. Sans les Arnoux, jaurais t atrocement malheureux pendant huit ans. Il venait me voir, tous les trois ou quatre mois, pour quelques jours, et croyait avoir tout fait. Je ne le connais pour ainsi dire pas. Je ne lui ai jamais rien confi, nos conversations furent toujours lamentablement banales et indiffrentes. Je ne sais rien de lui, il na jamais daign me dire la moindre des choses sur son existence. A prsent il vient vivre avec moi et croit trouver un fils plein damour et de soumission auquel il octroye le plus grand bonheur et dont le cur va souvrir, aussitt. Eh bien, non! Il a voulu que nous vivions en trangers pendant toute mon enfance et mon adolescence; nous continuerons vivre en trangers. Cte cte, soit; ensemble jamais. Il naura de moi que cette politesse indiffrente que nous octroyons des voisins dhtel; rien de plus. Ma vraie famille, les Arnoux, me suffit. Eux ont droit ma reconnaissance, mon respect. Ils sentent bien quils ont deux fils; et jai vu quils trouvaient galement dsagrable lirruption de papa dans notre vie. Dabord, cest injuste! Alors on peut ainsi abandonner ses enfants et les reprendre ensuite, comme des choses. Soit, on le peut, mais on ne peut pas les forcer vous aimer, sentir ce lien si fort que cre lhabitude, la vie quotidienne, et aussi doccuper la pense de quelquun. Au collge quand nous tions petits et que nous discutions, Jacques et moi, je lui disais: On demandera ton pre; jamais je nai pens papa comme un arbitre possible, comme un compagnon. Et puis, surtout, il noccupe gure de place dans mon souvenir. Lorsque jepense en arrire, je vois M. Arnoux le soir de Nol, M. Arnoux le jour o nous sommes alls la Trappe, M. Arnoux le jour de lorage, M. Arnoux le jour des Prix, etc etc... Jai tellement de souvenirs auquel il est ml que je ne le distingue mme plus, je sais simplement quil est l. Et papa? Oh, je peux le voir trs distinctement; je lai si peu vu! Je sais exactement quel jour il est venu, comment il tait habill, o nous sommes alls, ce quil ma donn. Ce nest pas un intime, cest un tranger vu rencontr qqe fois, quon se rappelle minutieusement parce quil se dtache dans votre esprit comme une silhouette, etc etc Par consquent je saurai lui prouver que son caprice ou sa lassitude qui la fait vivre auprs de moi me sont indiffrents, et quon ne me conquiert pas ainsi. Au commen dbut, Michel Brovant essaye de rendre son fils plus communicatif, mais sy prend mal, et bientt, le croyant par trop indiffrent de lui et le sentant hostile, il se renferme. Un jour le trouvant au milieu des Gide, Proust, etc, il sՎtonne, lui dit: Tu aimes donc ces auteurs. Et Ja Alain, aprs un lan, se rappelle quil ne veut surtout pas livrer lՎtranger ses gots secrets, rpond: Oh, vous savez, je lis un peu de tout. Il y a des choses bien. Michel sirrite sans bien se rendre compte contre ce quil croit de lincomprhension de son fils. Il pense jՎtais tout autre son ge. Tellement plus enthousiaste, plus expansif Je tiens dailleurs mon dnouement. Alain dit son pre quil sait tout, quil ne veut plus et ne peut plus rester avec lui, quil veut finir sa philo Paris, Henri IV. Je ne sais pas encore si Michel consentira ou sil sen ira lui-mme Paris. Il sait bien que son fils y tant il lui sera plus difficile de retourner dans la capitale, puisquils ne veulent pas vivre ensemble. Mais le plus probable est quAlain viendra Paris. Maintenant, voici laventure qui a bris la vie de Michel Brovant. Il a aim ardemment sa femme, Thrse (Thersy), la mre dAlain. Elle a voulu divorcer lorsquAlain avait deux ans parce quelle ne supportait plus la vie en commun, ni la contrainte familiale, parce quelle croyait aimer un homme et ne voulait aucun prix tromper son mari. Michel, aprs le divorce reste seul. Il est las des femmes, a peur delles. Cest un faible, qui cherche quelquun sur qui il puisse sappuyer, qui il puisse se fier. Il rencontre un jeune homme Robert, et se lie avec lui. Peu peu son amiti pour Robert grandit, devient violente, heurte. Il est jaloux, il ne peut plus vivre sans lui. Dans tous ses livres il ne parle que de Robert. Celui-ci est un trs jeune homme. Volontaire, intelligent, trs ambitieux, un peu arriviste, but et pourtant changeant; sobstinant rsoudre un problme pendant dix jours, puis labandonnant pour en aborder une autre avec la mme ardeur, goste, utilitaire, trs orgueilleux. Il est flatt de la passion quil inspire Gilbert Varmont, crivain dj clbre. Robert qui trouve les femmes lassantes, banales et monotones, qui dailleurs a des succs peu durables, veut essayer dautre chose. Il ouvre les yeux Gilbert Varmont, lui prouve quil laime, lui, Robert Il fait souffrir Varmont pendant douze ans, et lui fait crire ses meilleurs livres, dont Thrse et lui sont toujours les hros. Puis un jour il rencontre Thersy, |sans savoir que cest elle [ajout] qui a |t [ajout] quitte par son amant. Thersy a le mme ge que Robert, trente huit ans. Elle a beaucoup de charme, assez de fracheur, de la beaut. et surtout laurole des livres de Gilbert; il se met laimer. Il annonce Gilbert quil va se marier. Gilbert a cinquante ans, il sent quil ne peut plus rien faire, il abdique. Il promet Robert une amiti ternelle. Tout dun coup, il apprend que la fiance de Robert est Thrse. Dsespr il abandonne Paris et sen va vivre ave son fils aprs avoir publi un livre de confessions linstar de Si le grain ne meurtNous trois. Cest curieux, je viens de mapercevoir quau dbut je voulais donner une toute autre fin Alain Brovant, la rconciliation dAlain et de Michel. Et puis, soudain, je map maintenant je ne peux plus. Quand on a dtermin un personnage, quon la camp, quon lui a donn vie, il faut le laisser agir selon son temprament. Cest alors que les romanciers disent quun personnage les mne. Je maperc sais quAlain est trop ferme et trop absolu, et dune nature trop crbrale et intolrante pour pardonner Michel sa vie et labandon dans lequel il a laiss son fils. Alain a une rancune raisonne et instinctive la fois contre son pre. Ladmiration quil prouve pour G. Varmont ne le rend que plus svre pour M. Brovant. 20 fvrier Pourquoi donc cris-je cela ici, alors que je sais que tout sera modifi et que, de plus, je ne relirai peut-tre pas ces pages? Enfin. Une nouveaut: lamiti de Gilbert Varmont pour Robert est reste pure, et il ne saperoit de la nature de cette amiti que lorsque Robert lui annonce son mariage avec Thrse. Cest un peu conventionnel rebattu, cette prise de conscience dun sentiment devant lobstacle, mais cest psychologiquement vrai, donc Les gens vont croire coup sr que Le cercle de famille ma influence si jamais jaccomplis Chocs (cest le nouveau titre moins lourd que Alain Brovant) a paru lorsque javais dj fait tout le plan de ma nouvelle, mais je mets mon amour propre ne pas changer pour paratre originale. Le personnage de Gilbert-Michel est tudier et fouiller, car cest indispensable pour faire comprendre Alain, Et puis, ce sera une autre incarnation de sentiments prouvs. Gilbert est sensuel, plus encore imaginatif. Durant son adolescence, il fut romantique et nietzschen. Il senthousiasma pour Les Nourritures. Il aima Mallarme [sic] et Huysmans. Il a lu Elmir Bourges (Il faudra que je me mette prendre connaissance de L-Bas et de La Nef). Enfin il aime la fois le symbolisme et la nature directe, belle, farouche, brutale. Toutes les jouissances. Le rve du grand amour. Comme les midinettes chantonnent des couplets, il se murmure Cyrano. Il arrive Paris, fait son droit, crit son premier livre, des vers libres o lon sent se heurter M Stphane, Verhaeren, Jules Laforgue. Mais il y a une note personnelle, directe; une espce dardeur tourmente. Il entre dans un petit groupe de jeunes esthtes du Quartier. Cest l quil rencontre une des premires candidates au bachot: Thrse Lanveil, la fille dun ingnieur en renom. Elle a seize ans, Michel Brochant (ou plutt Gilbert Varmont, car tout le monde lappelle ainsi) en a vingt sept. Il a fini son droit, et crit une sorte de roman en versets, trs lyrique qui a fait du bruit: lArc de feu, o il clbre toutes les innombrables joies de lՐtre depuis larrachement du rveil jusquau cheminement ouat vers un nant promis la fin du jour. La renomme de Gilbert Varmont sest tablie. Thrse tombe fol spasmodiquement amoureuse de lui, et ne rve plus que de toute une vie dexcs deux. Elle lui crit tous les matins, malgr leurs entrevues quotidiennes: je veux tre ta vestale, pour attiser ton feu de toutes mes mon ardeurs, je veux brler auprs de toi toute ma vie. Elle pleure en voyant les pices de Bataille et aime Maeterlinck. Elle devient dix sept ans Mme Michel Brovant. Gilbert adore sa femme, mais elle est horriblement due Elle attendait un hros et trouve un homme. Elle se sentait faite pour des gestes exalts dune heure, et doit accepter les mesquineries de tous les jours. Il y a aussi une dception physique ... elle sattendait sans doute autre chose? Pour Gilbert, Thrse personnifie la femme. Elle est belle de la beaut quil lui fallait. Elle occupe tout son paysage intrieur. 22 fvrier: Relu les Faux-Monnayeurs. pour la nime fois. Thrse, au bout dun an, met au monde Alain. Elle se passionne pour lui pendant dix huit mois, voit en lui lՐtre auquel se dvouer et se donner, mais sa dception physique est trop grande, et elle est trop insatisfaite pour ne pas aspirer un autre amour. Les froissements avec Gilbert, dont celui-ci saperoit peine (dailleurs il cde facilement) lexasprent. De plus Gilbert est trop silencieux, renferme trop son ardeur relle et intense, et lorsquil sextriorise le fait trop maladroitement pour ne pas aggraver la dception de Thrse. Quand Alain a deux ans, Thrse rencontre un |jeune [surajout] homme de son ge dont elle sՎprend brusquement. Elle lannonce Gilbert qui ny comprend rien. Celui-ci croyait Thrse peu sensuelle et crbralement exalte, il ne comprend pas quelle veuille suivre ce joli garon sans consistance. Thersy insiste; il lui rpugne de tromper Gilbert, elle veut le divorce. Gilbert aurait consenti supporter sa passade, peut-tre, car il tait certain que sa femme lui reviendrait, due. Gilbert est plus imaginatif que sensuel, mais attache une grande importance lamour physique; il aime Thrse physiquement et aurait voulu crer entre eux tous les liens y compris celui-l. Mais il est aussi peu expansif physiquement que moralement. Il ne sait pas se livrer quՈ lui-mme, seul devant une page. Il a une espce de pudeur de ses sentiments, de ses dsirs; il ne peut les raconter quindirectement, en crant des personnages auxquels un faux nom suffit prter une identit trangre. Les hros des livres de Varmont sont ceux qui lentourent rellement, mais vus par lui. Dans ses livres, Thrse est une amoureuse passionne et satisfaite, lui-mme lui dit tout ce quil aurait voulu lui dire et quune espce de pudeur, de peur du ridicule de crainte dimportuner lui fait taire. Il ne sait pas dire Thrse sa douleur, son humiliation, sa dception; il la laisse partir, confie Alain sa mre qui habite une petite ville du Perche. Il reste seul, dsespr. Son ardeur ne peut plus sՎprendre que dun souvenir. Elle sexaspre. Cette flamme, ce quelque chose de retenu et de volcanique, de romantique, qui faisait de Gilbert, si morne dans sa vie, le pote, le chantre de lՎlan, de la vitalit, de laudace, a besoin dun tre, dune prsence, autour de laquelle prendre corps. Il veut se venger des femmes, par la misogynie, par un mpris de collgien pour leurs inconstances et leurs incertitudes. Les femmes froides et calmes ou frivoles et souriantes, lui paraissent trop vides, incapables de soutenir son feu intrieur. On ne peut rien en tirer., disait-il. Car Gilbert tait plus imaginatif que sensuel, et lՎcrivain, en lui, dominait et surveillait lhomme. Tandis que lhomme sՎchauffait facilement, souvent, sincrement et spontanment, lauteur classait avec rapidit les motions dont on pouvait tirer quelque chose et celles dont on ne pouvait rien tirer. Il aurait bien voulu favoriser les premires, mais sen faisait un scrupule; il lui aurait sembl fausser la vie., obtenir un produit de serre, artificiel, peu intressant. Mais il se rjouissait trop des motions utiles pour que celles-ci ne se dveloppent point aux dpens des autres. Voici pourquoi Gilbert Varmont ne voulait aimer, et dailleurs, naimait que les femmes trs instinctives, mais dont une certaine culture avait dvelopp le cerveau. Ceci leur prtait donnait, croyait Varmont, plus dՎtoffe et les mettait plus mme de se prter ses expriences. De plus, elles taient ainsi capables de distinguer loriginalit de leur partenaire. Malheureusement, ce genre de femmes plus sensuelles que crbrales, exigeaient, la longue, autre chose que des raffinements sentimentaux, et la rserve, la maladresse de Gilbert dans ces domaines, lempchait de les pouvoir satisfaire. Voici pourquoi Thrse tait parti avec un licenci en droit de vingt trois ans. Donc Gilbert Varmont aprs avoir peu prs puis son dsespoir dans un livre de pomes en prose Fanal darrire, cherche un refus dcide de sadonner lamiti et de rduire lamour un simple besoin comme le commun des bourgeois. Son amiti cherche sur qui se poser, comme un amour de jeune fille. Il essaye de se lier avec dautres hommes de lettres, mais ils lui paraissent tous vaniteux, soucieux de se montrer les hommes de leurs livres, pensant davantage paratre quՈ tre trop extrieurs. Il ne se rend pas compte que dans ses amitis, le physique des hommes jouait un rle. Certains jeunes gens, non pas prcisment beaux, mais ayant un certain caractre, lui plaisent. Mais il a peur dՐtre trop vieux pour eux; il a peur de se sentir dpays hors de sa gnration. Cest alors quun ami, dans un bar, lui prsente Robert. Cest un jeune journaliste, un reporter dbutant. Il nest pas beau, mais trs sduisant, avec son indpendance crne. Ds lors, Gilbert sՎprend pour lui dune amiti trs vive. Il ne peut plus vivre sans lui. Robert le sait. Varmont lui plat beaucoup, mais bien quil le trouve un peu exclusif. Ce silencieux si ardent lamuse; il admire lՎcrivain, mais aime taquiner lhomme. Chaque camarade de Robert devient pour Varmont un ennemi ventuel. Il est jaloux aussi, sans le savoir, des matresses, dailleurs phmres, du jeune homme. Il sexplique ceci, en se persuadant quil veut prserver son ami des souffrances btes de lamour et le garder de trop se livrer aux femmes. Les livres de Varmont, dans lesquels il dcrit son attitude envers Robert et lattitude de Robert envers le monde, hommes et femmes, le haussent une clbrit dՎlite. Ce sont des sortes de romans trs cosmiques o voluent beaucoup de personnages, et qui peignent, plus que la gnration de Varmont, celle de Robert. Dans vos tes uvres, disait Robert, il ny a pas de vieillards. Ou du moins ils forment une sorte darrire-plan flou, relgu bien loin en quelques mots. Quinze ans passent ainsi, Robert na pas encore, trente-cinq ans, connu lamour, le vritable. A une soire o il tait seul, sans Gilbert, il rencontre Thrse Lanveil, une jeune dcoratrice encore trs jolie, peine marque par lՉge, qui vit seule, voici dj dix ans. On dit quelle a divorc autrefois pour un homme, quils se sont quitts ensuite. A prsent, elle vit seule. Robert sen prend. Mais son aventure phmre a rendu Thrse dfiante, elle veut se marier. Aussi bien trente quatre ans est-ce ncessaire. Robert craignant de faire souffrir Gilbert Varmont ne lui a rien dit jusquՈ ce que sa rsolution fut soit bien prise. Au dernier moment, il annonce Gilbert son mariage avec Thersy. Gilbert, dabord, narrive ps sincorporer cette aventure. Il lui semble soudain tre devenu un autre, ml des vnements impossibles. Pendant plusieurs jours, il lui croit vivre dans un rve. Puis, une indignation, une fureur le prend contre Thrse, contre cette femelle qui a pitin le plus beau sentiment de ma vie et qui, prsent, va gcher lexistence de Robert. Et puis il sinterroge Est-ce vraiment parce que Thrse va faire du mal Robert quil la hait? Nest ce pas parce que dsormais son amiti devenait impossible ? Pourquoi impossible? Oui, pourquoi ne pouvait-il un seul instant envisager la perspective de vivre dans lombre de cette femme quil avait si ardemment aim? Mais parce quil ne pouvait pas, ne voulait pas la revoir. Donc, il tait jaloux de Robert qui possderait celle quil avait si longtemps souhait voir revenir. Non pourtant Varmont tait encore bien plus indign contre Thrse qui lui prenait Robert que contre le triomphe involontaire de son ami sur lui. CՎtait donc de Thrse quil tait jaloux? Oui, et cette haine cette envie quil ressentait contre elle venait moins de son dpart, que depuis longtemps il lui avait presque pardonn, que de ce retour inopin dans sa vie pour lui prendre ce quil avait de plus cher. Il saperoit que cest le bonheur limage du bonheur de ces deux tres qui lui est insupportable. Le bonheur que ses deux amours allaient prouver lun pour lautre, dont il serait exclu. Ses deux amours? Gilbert Varmont sinterroge et ne veut pas se croire. Pour Il est impossible quil prouve la mme chose pour Thrse et pour Robert. Robert est son ami, c. a.d. plus ou moins, mais pas la mme chose. Et pourtant cՎtait bien la mme sorte de jalousie quil prouvait pour lun et pour lautre. Le mme dpit aussi de ce quils laient tous deux mpriss, de ce que ces deux tres quil avait marqu de son empreinte, se soient rencontrs par-dessus sa tte et laient laiss sur la route en partant. Mais alors quՎprouvait-il pour Robert? Gilbert se rappela son agacement lorsquil voyait Robert prs dune femme, de nimporte quelle femme. Ce mme agacement, il sen souvenait, il lavait prouv lorsque Thersy flirtait avec un autre, autrefois. Il aimait donc Robert ? Varmont nosait pas fuir ce tte tte torturant avec lui-mme. Il dcouvrait chaque instant un nouvel indice, une nouvelle preuve de cet amour incomprhensible. Comment avait-il pu se duper ainsi pendant quinze ans? Parce que Robert tait l. Sa prsence, ou lattente de sa prsence, lui posaient des problmes plus petits, mais plus immdiats. Et puis, lorsquon vit avec les tres on sinterroge rarement sur ses sentiments envers eux. Il faut arriver un tournant, buter contre un obstacle. LՎchec donne lieu la prise de conscience, comme disent les psychologues. Varmont, accabl par cette constatation, et surtout nen voulait pas faire part Robert (sans savoir que Robert y voyait depuis longtemps clair dans ses sentiments, et samusait de son aveuglement) de sa dcouverte, ne voulant pas livrer aux amis, aux camarades des Lettres, sa dfaite et lorientation nouvelle, le sens diffrent que prenait sa vie intrieure., il rsolut daller cuver sa douleur quelque part, de disparatre avant de se dlivrer du fardeau, comme toujours dans un roman.; Il pense dabord voyager, puis se souvient de son fils enterr dans le collge de la ville o tait morte sa grand-mre et dcide daller vivre prs de lui. Il serait dsormais le reclus provincial, le vieil original taciturne, un homme un peu mystrieux, dont personne ne saurait rien. (car il avait lintention de ne se faire connatre personne, surtout pas son fils,.de dpouiller G. Varmont, ses livres et sa vie, pour redevenir Michel Brovant. Cest ainsi quil quitte Paris pour venir faire peau neuve, et crire Nous trois, son dernier livre. En effet, je veux faire paratre ce dernier livre, Nous trois, peu aprs quAlain aura appris lidentit de son pre, et cest ainsi quil connatra laventure de celui-ci. Javais dabord pens, un moment, mettre en scne directement Gilbert, Robert et Thrse, puis raconter le retour de Michel Brovant et la dcouverte dAlain mais jai eu peur dentreprendre une uvre trop vaste et dans laquelle je pataugerais. Je nai pas le droit de regarder les Faux Monnayeurs; il faut un Gide pour distribuer ainsi un livre, en tendue. Je ferai ce que jai dabord dcid de faire. Peut-tre est-ce ma paresse qui seffraye, et je sais que la dfiance de soi est pernicieuse; mais tout de mme je nose pas me risquer. La jeunesse a toujours des projets trop grands. Mon livre commencera par le rveil dAlain le matin de larrive de son pre, quil ignore, c'est--dire le lendemain de loral de son bachot. Alain, dans son lit dveloppera ses sentiments envers les Arnoux. Je ne sais pas du tout comment enchaner: toujours la mme chose, pour les ides, je sais, il mest trs difficile de dvelopper Jai vingt sujets, mais pour la ralisation! Les premiers temps de vie commune avec son pre, Alain sentira peser sur lui le joug familial. En face de cet homme taciturne et froid quil croit austre, contenu, incapable de comprendre quoique ce soit ses lans et ses rvoltes, il se sent oppress, esclavag. Lui qui, chez les Arnoux, na que fugitivement senti une discipline pourtant plus serre et plus consciente, est opprim par cette muette prsence qui ne lui demande pourtant rien que de ne pas troubler son rve intrieur. Cest que, chez les Arnoux, il se sentait tranger, libre de sourire des opinions, de sen retrancher, de sabstraire, alors quici il est dans sa famille. Cet homme indiffrent reprsente pour lui le licou familial. Il lui en veut de son indiffrence, quil croit voulue et faite pour loppresser, alors quil aurait si mal support les observations. Chez les trangers, il ne se sentait pas de mche, il se sentait libre et ʈ part, alors que chez son pre il prend tout cur parce quil participe tout. Il se sent engag dans chaque attitude de Michel Brovant. Il se rvolte en face de cet homme, quil croit sans pass, sans dsirs. Il le croit terriblement diffrent de lui (Michel croit la mme chose) le traite de Philistin. Alors, videmment, on ne sexplique plus lintransigeance du fils en apprenant combien le pre est diffrent de cette image. Cest dabord indignation contre lhypocrisie. Alain nadmet pas la double vie. Il nadmet pas les masques. Il est assez jeune pour chercher la bravade et le grand jour, pour ne pas comprendre les dsirs de retraite. Cest ensuite un fait assez curieux: Alain avait adopt en face de son pre lattitude traditionnelle du fils aux opinions avances en face du chef de la famille, conservateur. Cette attitude lui tait dicte par les livres quil lisait, par les exemples de ses camarades. Lorsquil saperoit que son pre est plus avanc que lui, il conoit un dpit inconscient mais dautant plus fort contre ce renversement des rles et ne pardonne pas son pre de lavoir surpass en rvolte contre la socit. Puis, Alain se sent gn en face de cet crivain lyrique, de cet homme si renferm. Il narrive pas concilier Michel Brovant et Gilbert Valmont. Il ne sait pas ce qui, en son pre, est le masque et ce qui est lhomme vrai. Il ne comprend pas la complexit, la dualit de ce caractre. Enfin Alain na pas la mme manire que son pre denvisager lamour et cela surtout loppose celui-ci. Alain navait jamais eu, en dehors de ses dernires semaines de virginit (et encore!) t tourment damour. Il accomplissait lacte gnrateur tranquillement, avec un plaisir sportif, tout physique, une ou deux fois par mois. CՎtait, dans sa vie, une chose rgle et secondaire. Il y pensait peu. Lamour quil rencontrait dans les livres, il le traitait en sujet littraire et non comme une ralit vivante. Lardeur, la fougue damour perceptible dans les livres de G. Varmont (dautant plus fortes quil laissait libre cours ses dsirs inhibs dans la vie relle par sa maladresse et sa pudeur) le gnaient. Il lui tait dsagrable que ce soit son pre qui veillt en lui certaines besoins penses sexuelles. Il avait besoin de scandaliser son pre.par son audace et son cynisme, et voil que cՎtait son pre qui le scandalisait. CՎtait son principal grief. Il tait choqu par les livres de Varmont, parce quils avaient t crits par son procrateur, alors quil trouvait trs naturels des livres cent fois plus audacieux, mais crits par des trangers, des inconnus. Je viens de relire la premire version, le petit plan succinct de Chocs que jai fait le 3 fvrier. Comme la nouvelle a volu depuis! Peut-tre presque trop. Mais non: il faut laisser un peu dinitiative aux personnages. Il est temps dՎtablir lenchanement des faits. Car enfin, la nouvelle ne doit pas tre vue seulement de lintrieur, et, de toute faon, un ordre de succession est ncessaire. Donc Alain sՎveille. Rflexion sur les Arnoux. Joie de passer ses vacances, seul avec Jacques, libres dans la maison un peu en dehors de la ville. Arrive du pre. Alain voit son projet contrari. Tirade intrieure contre la subite irruption paternelle. Mme Arnoux laisse avec regret partir Alain: elle est un peu jalouse de ce pre. qui a plus de droits quelle laffection du jeune homme sans avoir jamais rien fait pour lui. Alain et Michel sont installs dans leur maison, dans les environs immdiats de la ville. Leur vie commune commence, morne. Malentendus, mutisme. Alain nest heureux quavec Jacques. Lectures, rflexions, journal dAlain plein de rvolte contre loppression familiale, la vie en face dun pharisien incomprhensif.. Arrive dun cousin de Jacques, tudiant Paris. Admiration des deux jeunes gens pour Andr Paul Arnoux. Il leur rvle Gilbert Varmont. Alain lit La douleur ardente (dpart de Thrse vie conjugale), Le fanal arrire (dpart de Thrse). Surtout la srie consacre Robert, ses camarades, dont un plus g, ses matresses, Le quai des gares (dsirs dՎvasion daventures). Aprs six heures (histoire de jeunes gens pleins de projets travaillant, jusquՈ six heures dans des bureaux routiniers). Promenades dominicales (relations entre les jeunes gens et les femmes, jeunes filles et autres. Figure de Thrse, rajeunie, au premier plan. Dceptions sentimentales). Journal dAlain, avec impressions sur G. V. Impatience croissante de quitter un pre taciturne et incomprhensif, dsir de fuir Paris, de vivre comme les hros de G. V. Michel Brovant sabsorbe dans un travail secret et constant, sassombrit de plus en plus. Alain se convainct que toute cette vie est provisoire, naccorde plus son pre aucune attention. Michel dcouvre ladmiration dAlain pour Gide, etc. Il lui dit: Tout ceci est si faux. On voit dsir dՎcarter Alain de cette vie imaginaire, de ces enchanteurs, surtout de Paris. Alain y voit lesprit triqu dun vieux provincial heureux dՐtre venu dans sa petite ville, qui na rien compris Paris. Alain apprend |par Paul [ajout] que G. V. a quitt Paris aprs une aventure, quon ne sait pas o il est, mais quon annonce de lui un livre Nous trois. Vaut-il mieux faire paratre Nous trois avant ou aprs la dcouverte dAlain. Mardi 23 F. Jai labor un autre plan. Quand A. et M. sont installs dans leur maison, Michel fait des essais pour apprivoiser son fils; A. se renferme parce quil ne comprendra pas et M. pense, dcourag: comme nous sommes diffrents; aucun point commun. Alain achte Nous trois le jour o Jacques Paul lui montre son pre en disant Voil G. V. Il le lit toute la nuit. Journal dAlain o il expose le livre. Il a une conversation avec Paul le lendemain dans laquelle G. V. avoue que celui-ci est autobiographique dans une prface. Le Parmi les sentiments dA. pour son pre, il y a une jalousie de ce que son pre ait connu avant lui la vie quil rve et quil voulait innover. Le soir de ce jour, conversation entre A. et M. A. fait dabord parler M. sur les auteurs modernes, puis sur G. V. en particulier. M. essaye de lui faire comprendre combien lart est loin de la vie, combien il faut laguer dans la vie pour faire une oeuvre dart, et que prcisment les auteurs pour la plupart, mettent dans leur livres le ct de leur nature qui ne trouve pas place dans la vie. Il veut lui dmontrer que la vie nest ne peut tre une uvre dart. Il lui dit cela parce que le ton dA. a laiss percer une telle nostalgie en parlant de ces livres quil a soudain compris quA. nՎtait pas si loin de lui. Il croit prendre contact. A. par contre ne voit l quune nouvelle manifestation dhypocrisie. Il ne peut pas admettre que le dcalage entre la vie et lart soit commun tous. Soudain, une intonation dAlain, M. comprend quil sait. Il nose rien dire. A. ne sait comment apprendre sexprimer. M. en voyant sa retraite force et limpossibilit de faire peau neuve, de ne pas s [verbe non lu] (Gide. F.M.), se sent dsempar. Vers le soir, il prend une dcision subite et dsespre. Il laisse son Journal sur la table et sen va en voiture. Alain lit le journal qui relate les sentiments de son pre envers lui et ses rminiscences, le dsir aussi de retenir loin de Paris, o susent les vigueurs, son fils; de lempcher de se dsaxer Puis Dsir, besoin de comprhension, de camaraderie. Mais que le fils entre dans le nouveau jeu du pre, et ne tienne compte que de son dernier rle, laide sy perfectionner. A. ne comprend pas. Ne voit l quhypocrisie, lchet. Il est dur. Dgot, mpris, dpit, jalousie, dception mle dun reste dadmiration pour lՎcrivain et mme pour la complexit de sa nature. Le lendemain, A. dit M. quil veut aller faire sa philo Henri IV, quil ne peut plus vivre en face de lui. M. ne comprend pas: puisque son fils aime ses livres, pourquoi cette haine pour lui? Il aurait attendu de la fiert. Mais il voit quil ne peut pas se faire entendre. Quils sont en effet trop diffrents. Dpart pour Paris. Arrive. Le soir, chez Capoulade. M. retrouve des camarades crivains et journalistes, leur prsente Alain. Celui-ci, encore une fois se sent dpays, sent que cela ne se passe pas comme il laurait fallu. Il nentrait pas dans ces conventions que ce soit son pre qui le prsente des hommes de lettres, jeunes et avancs. Un pre, selon lui, aurait d lui faire connatre, dans quelque vnrable restaurant de vieux messieurs un peu dmods qui lui aurait parl de Bourget, de Barrs et de France, comme de novateurs. Encore cette jalousie de voir son pre lavoir prcd dans la vie rve. Surtout horreur de jouer le rle de fils dun grand homme, davoir des antcdents, dՐtre reu, non pour lui-mme, mais pour cause de G. V. Il sent peser sur lui le pass de son pre. Il veut sen affranchir, tre libre, sentir par lui-mme. Il pense Bernard Profitendieu, son hros favori, et parodiant Poil de Carotte se dit avec un sourire amer: Tt le monde ne peut pas avoir la chance dՐtre btard. D. 6 mars Chocs en est rest vant larrive la venue du jeune journaliste parisien. Je ne pense pas le reprendre avant la mi-juillet. Je lis la Rpublique; Platon me passionne depuis toujours. On a beaucoup de mal le quitter lorsquon la pris. Je vais discuter le dbut du 7e livre mercredi. Il y a en Platon une sorte dorganisation mi-socialiste, mi-aristocratique, trs curieuse. Je ne sais pourquoi son utopie me rappelle Rousseau, mais Platon, nourri des doctrines attiques et dune sorte de stocisme, ne croit pas lhomme naturellement bon. Il a confiance dans le pouvoir de lՎducation. On recre sa nature. Jen suis au livre quatre. D. 17 avril Bac approche; apprhension, etc. Toutes sortes dincapacits et la Sainte Flemme par dessus tout. En ce moment, jattends des amies. Elle mon donc je suis disponible. Je nai jamais su me mettre au travail pour de courts instants: ils me suffiraient pourtant. Le printemps revient, mais pour moi, aprs le Midi6, cest lhiver. Beaux jours de soleil o tes- vous? Ce quil y a de terrible, cest que je ne peux sais pas avoir le cur libre. Si quelque chose me remplissait, jai limpression que je travaillerai mieux. Quel got peut-on trouver Mardi 19 |Relu [en marge] Malaisie dHenri Fauconnier: un des plus beaux bouquins que jaie lus de longtemps. Un livre plein, gonfl et beau. Mes lucubrations pdantes et maladroites du dbut de lanne me font horreur. Je naime plus la philo, puisque cest un devoir. Je ne saurai jamais faire avec got, joyeusement, ce qui mest impos. Au fond, paresse vanglique: voyez les lys dans les champs. Je nai pas le sens de la tche accomplie allgrement; le devoir me pse toujours. Ce qui est beau: butiner. Esprit minemment superficiel. Je me dcouvre en mobservant avec tant soit peu dindiffrence, peu prs tous les dfauts. On me dit prodigue, je suis peut-tre avare.Franche: je sais terriblement bien mentir. Pas dissimuler: mentir. Intelligente; je ne vais au fond de rien. Capables de beaux lans: ma conscience me fait horreur. Comme disait le sage antique: jignore ce qui se passe dans lՉme dun sclrat. On dit que je suis ambitieuse; mais la paresse me paralyse; vanit orgueilleuse, mais je ne me sers pas de mon orgueil. On me dit goste, et je ne sais mme pas lՐtre sans remords. Ce quil y a de pis, cest que je me tolre telle que je suis. Vous avez de la volont, crie-t-on. Oh,ʈ peine de lenttement. Amiel tait le type du rat, et il a laiss derrire lui un tmoignage utile; jai tout pour russir, et javorte chaque jour davantage, et jassiste impassible, ma graduelle dchance, depuis trois ans ou plus. Gmir, pleurer, prier, est galement lche. Oui, lche, je suis lche. Voil bien ce qui me qualifie. Je me marierai, jaurai des enfants, je ferai du tricot, de la couture, jirai au concert, je lirai, avec de temps en temps le sentiment secret dune insuffisance; je sentirai au plus profond de mon tre quelque chose de plat qui claquera au vent de la conscience, comme une baudruche dgonfle. Je serai une femme intelligente. Quimporte; je suis ce que je suis. Lutter? Mais faut-il lutter? Ne vaut-il pas mieux tre soi-mme? Il faudrait dabord connatre sa voie de faon continue, ce qui ne mest pas arriv encore: je flotte entre les doctrines contraires, Epicure et Marc-Aurle me sduisent galement quelques minutes de distance. Mes tendances? Je ne sais pas trop de quel ct elles penchent: trs videmment, la paresse domine mais encore? Voil que jai crit trois pages dune traite parce quil sagissait de moi: pour sur un sujet abstrait, jaurai trouv avec peine quinze lignes: une femme, tout ce quil y a de moins suprieur. Je ne sais mme pas si je saurai accomplir avec succs mon destin de femme: entretenir constamment le bonheur dun foyer. Au fond cest une tche grande et minutieuse. La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles est une uvre de choix qui vaut beaucoiup damour, une tche qui me psera, parce quelle est ordinaire et obscure, et quelle ne comporte pas lattrait dun labsurde gloriole ou dun la renomme dexception qui ont pour moi tant dattrait. Etre simplement une femme, non un animal sensuel, ni un enfant frivole, ni un bas-bleu, ni une ennuyeuse chipie de mnage: une femme. Encore faut-il savoir choisir celui quil faut rendre heureux. Jeudi 21 avril. Lesprit a ses droits, et lՉme. Le reste vient de surcrot; sil ne vient pas, tant pis. On ne peut pas toujours tre trs haut, mais il faut sefforcer datteindre certains moments un sommet. Cela rehausse lՉme. Une constante mdiocrit donne la mme moyenne que des hauts et des bas violemment contrasts, mais elle ne constitue pas de loin la mme qualit dՉme. Contempler en face, une fois le Bon de Platon; on en garde dans les yeux lՎblouissement que donne toute lumire. Hier, lHymne la Joie de la neuvime, sortant dun phono au son pur, dans la lumire demi-obscurit et latmosphre de jeunesse qui rgnait dans la chambre de Boris S*** a entrouvert un chemin fulgurant vers des choses peut-tre inaccessibles, mais dont limage mme fait prouver une jouissance bizarre particulire. Les gens qui sentent vraiment, qui vivent la musique en gardant comme Boris S***, un reflet qui les empchera toujours de devenir banals, anonymes, mesquins, bas. Je ne vis peut-tre pas trs intensment la musique, mais je la sens assez. Petites strophes composes il y a quelques jours, trs facilement sur un feu de paille teint presque aussitt (Mathilde de la Mole, aprs sՐtre monte limagination pendant vingt quatre heures, arrivait se persuader pour une aprs midi quelle aimait Julien Sorel). Exaltation Voil que je tends toute vers ta prsence, comme, aux mois gris vers la brise printanire; les yeux ferms et aspirant trs fort, pour voir si lair nen porte pas, parses, quelques traces. Voil que, sans remuer les lvres, je murmure ton nom; que je lentends heurter mon oreille, emplir ma tte et se rpandre en moi, vague dans laquelle on plonge. Voil que je redessine sur la molle matire du souvenir, tes traits durs, tes yeux bleus que tu savais faire tendres (mais bientt le pli voltairien autour de ta bouche les dmentait.) Malgr six mois dabsence je revois ta dmarche presse (oh, tes diatribes contre ces bourgeoispour qui lheure est immobile et qui nous raillent lorsque nous leur disons, modernes Galiles, quelle tourne fuit. Je me retourne Comme pour tattendre, je me retourne dans les rues o tu pourrais passer, et, et, sur les plans de la ville, je cherche ta maison. Jaime les jardins, les avenues, les muses qui nous virent ensemble. Jaime le rapi dessin rapide, crayonn pendant un cours, et ton criture pointue de pragmatiste. Jaime te replacer dans la lumire clart des rverbres |lectriques [ajout] qui verse pan versaient une clair lueur de lune sur le parc empli de faux marbres dans les sentiers duquel nous nous perdions comme des amants. Sous le saule pleureur, tu disais avec ton rictus ddaigneux et sduisant: est-ce assez romantique? Je rpondais: ʍ nous va bien, et nous changions un regard dՎcoliers qui font une farce leur matre.. Comme nous lavons bien nargu, LAmour! Et comme ton attitude Mais certains de tes gestes signifiaient Tu y viendras, Y serais-je venue? Samedi 23 Pas mcontente de mon petit pome en prose. Lis Vie de Disrali. Personnage irritant: on voudrait lapprouver tout en entier, mais le ridicule tue, et aussi laffectation. Puis il fait trop figure daventurier. On sent que malgr tous ses talents, il nest pas the right man in the right place. Pourquoi? Peut-tre parce quon sent quil navait pas assez foi en la politique, et trop foi en lui. Comme tous les Juifs: pas de respect pour les choses tablies, et les positions; ne croit rien trop haut pour lui. Je ne crois pense mme pas que cest tellement eux quils lvent, cest plutt les autres quils abaissent. Au fait, la fin de sa vie est a lair mieux que le commencement. Jai encore cent pages lire. Paresse au point de vue moral: vais-je encore rater mon examen. Ce serait une habitude. La philosophie ma repris puissamment ce soir, le cours critiquait la morale de Kant, passionnant. Kant, homme du Nord, ignore les nuances, les subtilits, Il y a tant de cas o limpratif catgorique nest pas valable. Et surtout il faut bien transiger avec la vie sociale. Ce qui me choque chez Kant, comme chez Rousseau (ils se ressemblent tant!) cest le dsaccord entre la rgle et la vie. Kant se soumettant aux ordres du gouvernement, et sa conscience nenvisageant mme pas toute la lchet de laction. Rousseau prchait la vie de famille et abandonnait ses enfants lassistance. Je sais; ce sont des lieux communs, mais ils rsument trop bien les hommes pour quon ny revienne pas avec plaisir. Il a fait un soleil assez printanier; les effluves de renouveau vont venir me faire regretter amrement les heures perdues aux vains exercices de la mmoire, indispensables et fastidieux (je me rends trs bien compte de la facilit lche de cette phrase, et la relverais dans un roman avec indignation, mais je nai jamais le courage de me corriger pour moi-mme. Je ne suis donc pas une vritable artiste). Lexaltation qui a produit mon petit pome me revient de temps en temps par bouffes. Celui qui lexcite serait bien tonn, ou peut-tre pas du tout. Il fait bon jouer avec le feu quon ne brlera jamais: scurit et volupt. Sensations quon simagine fortes bon compte. Ainsi les gnies magnifient les rencontres banales. Rassure-toi. Moi spectatrice, je ne joue pas les gnies. Merc. 27 Le printemps fait, autour de moi, un bruit de bourgeons, car il semble que le crissement lger de lair soit produit par une corce qui clate, tant il fait sentir au corps le renouveau. Tout semble plus lger au printemps, plus facile. Les perspectives perdent leur brouillard, les horizons bleuissent. La banalit elle-mme prend je ne sais quelle teinte de la fracheur qui la rend acceptable. Les examens, qui voquent une chaleur plus dense, semblent fermer hermtiquement quelque tuve effrayante. On voudrait se laisse vivre, tre gai. On se sent en quelque sorte dissous dans latmosphre, comme lorsquon est couch dans le sable, dans lherbe, dans un lit et quon ne connait plus les limites de ses membres. Le bleu de ma chambre7 me parat tout coup presque spulcral et mՎvoque les tombeaux de pharaons quon croit voir la lecture du Roman de la momie. Ce quon crit pour que ce soit bien est toujours lamentablement artificiel dabord, et ensuite on sent entre les phrases quelque lacune; les morcea tronons ressemblent deux morceaux de mosaque mal joints. Il faudrait crire avec ses entrailles et penser avec sa raison. Or nous pensons simplement avec quelques notions lmentaires, quon nous a, en plus, presque toujours inculques, et nous crivons avec notre esprit, ou mieux avec notre sens de lՎlgance; cest lamentable. Les mots doivent tre sentis, arrachs de la chair. Car les mots sont charnels. Ils sont lincarnation de la pense, comme les objets sont les matrialisations du monde intelligible. Il faudrait les extraire de soi-mme; y mettre toute sa sensualit dans le sens le plus puissant de ce terme (les possibilits, les facults de tous ses sens). Il ne suffit pas de glaner des paroles aux sonorits redondantes comme Messieurs les Romantiques, cheveux au vent, il y faut mettre plus de soi-mme, plus de son essence, plus de son suc. Ecrire est chose difficile; rien de pnible comme un auteur qui se force. On a bien fait dinventer pour les circonstances mondaines des formules peu prs invariables; cela permet quelque aisance dans des occasions o il tait autrement impossible den avoir. Plus lՎvnement est rare, mieux on peut le dcrire, car mieux on la ressenti. Les rptitions moussant le choc, les mots sont affects par lusage. Je sais quune cole exactement contraire chante la beaut des termes qui ravivent des situations fanes, mais il me semble que cest l plutt acrobatie dartiste, tour de force. Thodore de Banville est un acro ciseleur; Rimbaud cre. Jeudi 28 Et maintenant, courage, travaillons (.) --- Deux voies suivre: se rsister, se cder. Angoisse qua rsolue un Mauriac. Et moi? Je me pose le problme, le rsous dans un sens, agis dans lautre. Ballote par des vagues, je joue avec lՎcume en oubliant le danger des lames de fond. B** me disait: les examens, il faut les voir comme un exercice de la volont. Oui, un pas vers lasctisme, la domination de soi. Seulement il faudrait dsirer lasctisme, et je ne le dsire point. La russite extrieure a toujours eu pour moi une certaine importance. Jai bien tort de mpriser ceux qui aiment largent, car jaime les honneurs souvenirs subsistant, la gloire et cela revient au mme. Dailleurs, de plus en plus, je vois linutilit, la lgret de ce bijou dun sou comme dirait Verlaine. Je donne plus de prix lՉme et je deviens un peu moins lamentablement superficielle. Mais il mhumilie que mon enfance qui connut tant dՎlans et de vraies ferveurs, qui fut brlante, et rend, mme la critique impitoyable de lՎloignement, un son si vrai, si dense, fut obscurcie parcette sotte sot dsir de gloriole. Que mimporte, videmment, une lucubration purile; en quoi peut me toucher une aussi naturelle erreur? Cest que jai peur dՐtre marque. Qui donc a dit: on ne se dlivre jamais de son enfance? Nimporte quel gosse souhaitant dՐtre empereur ou marchand de gaufres ne rvle rien, mais ce dsir constant, aussitt que je commenai dexister, de montrer aux autres que je suis diffrente deux, voil qui peut rvler une tare vritable. Oui cest ridicule, pdant, professoral, allemand, freudiste ce que je voudrais. Jai peur de moi. Je me fuis, je me trompe. Il y a des erreurs de calcul volontaires dans mes quations de moi-mme. Oui, trouver le courage de contempler mon cur et mon corps sans dgot, de ne plus vouloir me doper, me surestimer? Pour les curs riches, il y a la foi, mais jai le cur trop sec. Il y a lamour, mais jai le cur trop sec. Il y a labandon, mais jai le cur trop sec. Cest terrible de savoir quon a le cur sec. Alors jagis avec ma personnalit morale, comme un croyant dsabus avec lardeur quil veut reconqurir. Je me suis forge un idal de ce que je voudrais tre, et, pour bien me persuader que cest possible, je dis aux autres, et moi-mme, que je suis ainsi. Je prends mes dsirs pour des ralits, sciemment, avec lespoir queux-mmes volueront peu peu vers une existence substantielle. Leau bnite dabord, disait Pascal. Mon eau bnite, cest mon dsir. Et l encore dcidment, la Sincrit avec un S majuscule est-elle possible? jexagre. Mon dsir nest pas aussi constant ni aussi stable, que je le dcris. Il change, il se transforme. Jai plusieurs personnages en vue entre lesquels jhsite. Mais pourquoi toujours des personnages? Pourquoi ne jamais tre moi? Parce que je ne sais pas qui je suis. Je pourrais me chercher. Mais chaque fois que jessaye, le personnage du moment simpose, se substitue la ralit. Et, au fond, est-il si sain de trop se chercher? Oui, je sais ce quil y a dhypocrisie, de lchet vivre avec un soi-mme inconnu, dont on ne voit que lՎcorce, la face sociale, dont on ne sait pas plus que les autres, somme toute. Trs hypocrite, trs lche, ce compromis pour avoir la paix. Quest-ce que la paix? Lharmonie, laccord, la Justice platonicienne. Mais elle ne doit pas servir pour abriter des immondices. Je me perds en moi. Cest terrible de penser quon sera toujours le centre de son univers. V. 29 avril. 6 heures du matin: voil lheure. Oui lon est plus disponible, le plus capable de tout. Je comprends que les criminels soient si braves lheure de lexcution. On peut devenir un saint ou unmonstre ; on a devant soi toute une journe qui peut faire tre dans notre vie le tournant dcisif. Une journe vierge, dont on ne saperoit pas tout de suite combien elle est dtermine par les jours prcdents. Cest laube quon se fait les plus poignantes illusions. Lorsque je suis la campagne le matin de ma fte, je me lve avant le soleil et men vais seule longuement, respirer lair vide dhommes. Je crois avoir contempler toute lanne neuve devant moi. Scheresse de cur, incapacit daimer: cest vrai. Je peux avoir un moment de flamme; mais jamais cette jaillissement continu de tendresse, de pense et de dsir quon nomme lamour. Dabord il me faudrait trouver un homme qui ne me doive pas et qui donc peut ne pas dcevoir? Je me sens incapable moi-mme de me maintenir constamment au mme niveau; alors quel droit dexiger dun autre, et pour lamour de moi, encore? Au moins voudrais-je ne pas tre due sur le plan spirituel. Pourtant personne ne peut avoir du gnie plus de quelques instants par jour, et tel est mon esprit critique que jaurais trouv une faiblesse desprit Goethe ou Napolon. On peut admirer Goethe crivain, est-il possible daimer lhomme? Je ne crois pas. Cest toujours de moi que je parle le mieux. Les seules lignes qui ne rendent pas un son poseur et artificiel me dcrivent. Mes phrases commencent par Moi je. Je me sens si peu de chose! Non, force de le rpter, je me rduirai tout fait nant. Mieux vaut ne pas trop penser au sempiternel soi-mme. Montaigne avait une position moins individualiste en parlant de soi-mme que moi lorsque je discute des destines du monde. Qui suis-je, que sais-je, que dois-je devenir? Seules questions qui mintressent au fond. Et mme lorsque jՎcris ces paroles, jespre quon me dmentira. Une de mes caractristiques: faire trs bien linutile et ne pas mme aborder le ncessaire. Capable dapprendre 50 vers, et non 2 pages danatomie. Ou mme moins potiquement, vingt noms dans lAnnuaire, pour le seul plaisir dexercer ma mmoire. Je nai ni le sens de lutile, ni celui du devoir. Il faut en prendre son parti: impossible de russir. Assez sur moi-mme. De temps en temps la pense dAlain meffleure. Chocs sera ds mon examen pass. Je suis capable de le faire. (Allons voil le passionnant je revenu, il me rendra phobique). Sam. 30 avril Cours de ? passionnant. Apprends par cur Mon Dieu ma dit A Me suis agenouille, ce matin, dans la chapelle des Dominicaines de la rue Cortambert8 et ai cout leurs lamentations en mineur. Ces chapelles si claires ont un charme trs diffrent des glises. Je naime pas beaucoup trop de lumire da sur lautel. Sans doute pour les vrais croyants cela na pas dimportance, mais pour moi, je prfre un peu dombre sur mes illusions. Temps splendide, aucune envie de travailler. Il faudrait pourtant sy mettre. Mon pre a eu le mot juste pour me qualifier temprament de dilettante. JՎcris cela avec le secret espoir de me dmentir dans quelque temps. O nature humaine Je me demande sil est possible davoir une opinion vraiment sincre, qui ne changerait jamais, une conviction? Quest-ce quune conviction dabord? Jai horreur de me sentir seule par une aprs-midi de printemps, avec en plus le remords de ne rien faire. Je ne sais pas prendre un parti. Triplepatte9, ternel hsitant. Ecrire un hymne au soleil, comme les paens (je ne parle pas de Chanteclerc; cest trop rsolument je ne lai jamais lu). Maupassant eut pu imaginer, ce matin, dans la chapelle, un conte tout fait sacrilge. Un homme tombant amoureux dune de ces dominicaines aux voiles blancs daprs sa voix. Je sens fort bien ce que le sujet a didiot; et puis cela me gne. Curieux atavisme: je pourrais librement dcrire les sentiments dune lesbienne ou dun pdraste, mais il y a quelque chose qui me crie manque de tact; profanation, lorsque jimagine une intrigue trs innocente, puisque la sainte fille ny serait pour rien. Allons, tant mieux! tous les prjugs ne sont pas morts en moi. Non, je sais ce qui me retient: ces femmes, qui ce sont volontairement retranches de nos amours terrestres ne veulent plus y tre mles; nous navons aucun droit de le faire. Le 2 mai. Ce matin, au cours de ?, une question ma frappe. Si, en obissant sa conscience on aurait peut-tre provoqu une catastrophe, et si on la vit en ne lui obissant pas, doit-on sen fliciter? Avis divers. Rumeurs diverses. Une opinion assez juste: on juge aprs coup; on ne peut donc savoir avec certitude si la catastrophe aurait eu lieu. Je dis quil faut obir sa conscience malgr tout. Ma juvnile intransigeance comme dirait probablement un vieux sceptique dsabus, me fait dire: Cest une hypocrisie envers sa conscience soi-mme que de ne pas obir sa conscience pour viter un danger. Or ce que nous avons de plus prcieux, ou du moins, ce qui devrait nous tre le plus prcieux, cest notre vie intrieure, et, ce qui surtout, notre unit, notre homognit intrieure. Toute hypocrisie, tout mensonge rompt lharmonie de lՐtre; cest un lment htrogne, disparate, qui dtruit lensemble. Nous navons pas le droit de rompre notre harmonie intrieure. Jadmets dailleurs que ceci est goste, car la catastrophe en question atteint dautres tres que nous; je dirai plus: cest inhumain. Nous navons pas le droit de subordonner lordre social notre ordre particulier, risque de rompre celui-l pour conserver celui-ci. Mais dune faon absolue ce devrait tre ainsi. Lharmonie prime. Peut-tre au fond, est-ce la raison de juger, en dernier ressort, mais raison et conscience ne sont-elles pas lies de trs prs? L intervient Kant, cet homme si gnant, qui vous met en face des problmes essentiels avec tant de brutalit, et vous force juger. Je ne sais pas encore prendre parti. Plus tard. A Ah, plus loin que Leurs curs plastiques et leurs Sens dops, Il est une rgion o tout est blanc, me dit la Voix Comme une f Il faudra, de temps en temps, que jՎcrive quelques unes de ces histoires que jimagine constamment, ainsi, travers les rues et les rves. Je deviens utilitariste, mnagre: ne rien laisser perdre, alors quil est si beau et tellement plus beau de gcher, que de laisser perdre. Imaginons une histoire sur commande: un conte. Un homme traverse la rue dans un passage clout. Lagent arrte les autos ce moment. Ce coup de sifflet fait tourner la tte au passant; il voit devant lui une auto magnifique avec un homme qui conduit. Il sarrte, regarde longuement, avec admiration, la voiture et lhomme pour emporter dans sa vie matriellement mdiocre, cette image luxueuse. Il aime le luxe; celui des autres dfaut du sien. Il na pas damertume, peine un peu denvie. Il va travers les boulevards. Soudain, devant lui, une jeune femme laisse tomber un paquet; il le ramasse, court, rattrape la promeneuse, lui rend le paquet. Elle est lgante, jolie. Il est bien bti, sympathique. Leur conversation se prolonge un peu. Jeudi 12 mai Je tai revu dans cette pice qui vogue, comme un Zeppelin, au dessus des toits, entrant sous les regards curieux, Et je tai regard sans presque te reconnatre; Est-ce mon souvenir qui avait aboli sculpt ta silhouette relle. Ou rellement, tes-tu |vraiment [ajout] recouvert dune corce charnelle qui tattache et te ligote au sol, te rend bat et sans lan? Oh, tes paules largies, et ton corps plus lourd. Oh tes pas pesants qui entranent les hanches, Oh tes yeux plus durs, plus clairs, plus impitoyables encor et moinsvastes, qui situent lhorizon plus prs quautrefois; Ta Et ta manire de parler, plus brve encore, do tout charme avait fui, coup par les phrases pointues comme des clats dobus, qui ne savaient faire entendre que ce quelles disaient, et non se fondre, quun orateur qui nont plus de rsonnance dans l ni dՉme. Ni dՉme hlas, hlas car cest ce qui avait disparu en toi partie quand tu ne voulus plus lui sacrifier rien. Parfois un mouvement te reconstituait tel que tu fus. Et javais le cur bomb damour-propre en rvolte pour avoir accroch mes rves la mesquine apparence qui subsiste de toi. Et Je te fouillais mains tremblantes, me rappelant le jet de tes sarcasmes, les mille facettes de ta pense De ta pense morte, abattue par des calculs purils comme un arbre rong de chenilles, de vers, et de fourmis, qui cde soudain, vigoureux au regard, mais creus dj, Oh comdien qui ne trompes que toi-mme. Oh roublard commis-voyageur, qui crois faire acheter |par le sort [en marge] tes avarices cupides, et qui ne vois pas quil te paye en fausse monnaie faux billets.de banque Oh Faust sans grandeur, qui as vendu ton me au Mphisto mercantile des jouissances bourgeoises, au dieu mdiocre de largent du papier monnaie D. 15 mai Un orchestre brutal nous attendait au bout de trois qua une demi-heure dauto parmi les routes de banlieue; un dancing faussement rustique o les parisiens lgants et les indignes prtentieux du Vsinet sentrecoupaient sur la piste. Puis, de nouveau la route, le vent qui fouette un peu, htivement, la main passe par autant quil peut entrer par la vitre entrouverte. Les lilas dans les jardins, la pluie qui rendaient les odeurs plus pices, plus pntrantes, qui les faisait monter dans lair humide, comme alourdi fatigu par sa lutte incessante contre les gouttes qui tombaient. Etre blottie, tre bien. Se sentir labri de tout dans la limousine, avec seulement le regret que ce ft si bref. Sole 16 mai. Soleil idal |platonicien [ajout], ciel turquoise, et quelque chose dintensment gai qui me soulve. Beau ciel, vrai ciel, regarde-moi qui change. Je varie avec la temprature, dis-je? Non, car hier, malgr la pluie javais de la joie plein mon me, cause de la promenade vivifiante travers les banlieues. Moi, moi, moi quand cesserai-je de dire moi? Je sens bien que jamais Pourtant le but de la vie cest dՐtre utile aux autres. Une vie pleine, cest une vie dvoue. Le bonheur? Quelque chose de calme et de protestant: un foyer, La vie humble aux travaux ennuyeux et faciles. une profession quon accomplit avec cette calme et tranquille ferveur que la mre de Pguy apportait rempailler ses chaises, et surtout, ne rien voir au-del, pour soi-mme, pas de vain dsir de gloire et de luxe renoncer La sensibilit spontane qualifie de fminine, serait-ce ce qui me manque le plus? J. 19 mai. Oh la vie, quand il fait doux et tide, que je sens mes pieds nus dans les mules, mes bras nus hors des emmanchures, mon corpos nu sous la blouse de foulard. Il y a quelque chose inexprimablement libre, dexaltant, de vivifiant, dans les beaux jours encore tendres de la moiti de mai. Epoque trouble des examens, mais qui ne peut pas rprimer en vous la joie de vivre. Epoque dactivit intense, du corps et de lesprit mon climat. Jaime de plus en plus Barrs. On ne peut pas tre dcourag par un aussi beau temps dans les pays o il fait toujours beau et tide, comme il doit falloir peu de chose pour tre heureux. Je comprends la nonchalance des mridionaux; pourquoi sastreindre quand il fait si bon se diluer. Encore de moi que parlent ces lignes, toujours de moi. Que nous sommes peu de chose! Au fond, jai tort de dire nous. Il y a des tres humbles qui savent vivre non pas pour eux, mais pour dautres. Et pas seulement des humbles, dailleurs. La magnification du peuple nous pousse toujours lui rserver lexclusivit des vertus dabngation. Entirement faux. Lorsquon rencontre un dvouement dans notre milieu il est beaucoup plus mritoire, parce que plus conscient. Les gens qui font le bien par instinct sont certainement moins admirables que ceux qui le font par raisonnement, car ceux-l connaissent les dlices de lՎgosme, et aussi savent quon ne leur prtera jamais que des motifs intresss il pose, il fait cela par vanit etc Enfin je m exalte peut-tre lartificiel aux dpens de la nature, mais je prtends quil vaut mieux faire les choses par devoir que par impulsion. Evidemment, il y le danger de sadmirer, mais il sՎcarte si lon pousse le raisonnement jusquau bout: il ny a pas se fliciter de faire son devoir; on doit le faire. Je prche le devoir en dveloppements faciles au lieu de situer le bulbe dans la moelle Je retourne mon goste devoir. Au fond pas si goste que : cest videmment ma carrire que je prpare, mais je me prpare aussi tenir mon rle dans la socit, ne pas tre une inutile. A savoir, si la socit a absolument besoin dune petite avocate crivassire?. Mais non, on peut toujours faire de soi un chef duvre, se faire rendre le maximum. Je voulais tre un gnie. Je sais maintenant quon ne devient pas un gnie; quon nat tel. Mais je nai pas renonc lambition dՐtre quelquun intrieurement parlant. Je ne demande pas lidiote gloriole, dispense par critiques littraires, je ne demande mme plus cet clat durable que je rvais de laisser aprs moi. Non, je veux simplement me sentir rendre mon maximum, avoir limpression de la plnitude. Cest pourquoi mes dfaillances de volont mexasprent. Mardi 12 juillet Il fait chaud, je travaillote vaguement en attendant les rsultats de mon crit; puis il y aura, bien entendu, quelques jours de surmenage si .. oui, si . Jai peur de me porter malchance en crivant que jai malgr tout quelque espoir. Jai appris aujourdhui la mort dune amie denfance, beaut de 19 ans qui luttait depuis des mois contre une phtysie hrditaire, quelque part en Savoie. De Ces choses si peu dans lordre qui jurent, qui dtonnent si intensment mme dans lordre tout relatif de la vie, qui vous laissent pantelants et frapps. Et puis cela me rappelle toujours Pierre. Quand je pense quՈ prsent, sil vivait, je serais si follement due, trs probablement... Car je sais bien que seul mon rve le recouvrait dun voile aussi frique et diapr, aussi trange, de ce halo fait de romantisme banal, mais de quelque chose de plus aussi. Cest tout de mme la seule fois o je sois arrive me convaincre que jaimais un homme, rellement. Fallait-il donc avoir 13 ans pour cela? Les hommes ne sont jamais pour moi que des prtextes dexaltation solitaire, ou de comdie joue moi-mme. Je reste gocentrique mme lorsque je veux absolument me persuader que je suis amoureuse. Je dois dire quil y a un an bientt que je nai plus essay, et que je ny ai jamais russi que pendant des instants fort brefs. Cela mexaspre dՐtre incapable de ce sentiment auquel atteint ma concierge ou telle petite mondaine. Comment puis-je attacher pareille importance si peu de chose? Comme sil ny avait pas dans la vie tant de splendeurs qui dpassent le fastidieux et perptuel attendrissement sur soi-mme, ou sur un autre tre, aussi ou plus imparfait que soi. Il ne faut pas aimer un homme, mais les hommes, y compris les faibles, les vieillards, les infirmes, les femmes enceintes, tous ces tres qui me dgotent toujours un peu, voil qui peut vous empcher davoir le cur sec. LՎgosme deux nest quun largissement de lՎgosme ordinaire, une projection de sa personnalit sur un autre. Ce quil faut cest la projeter si en dehors de soi quon ne puisse plus la reconnatre, et quelle ne soit plus quun universel Amour. Et la chair me dira-t-on? Eh bien, elle trouvera toujours moyen de se satisfaire ou bien elle se taira. Ce nest pas la peine dՎcouter la chair, elle saura bien simposer elle-mme lorsquil y aura vraiment ncessit. En se penchant vers elle, en lexaminant, on ne fait que la provoquer et veiller en elle des dsirs qui ny taient pas. (On dirait tout fait une phrase de M.Cuvillier dans son Prcis de logique et de morale ou encore lapostrophe dun pasteur protestant.) La chair tant rsolument domine, seul lAmour et lEsprit subsisteront. Mais il faut pour cela de lՎtoffe. En ais-je? Oui. On ne doit pas rabaisser ses forces, on finit par ne plus en avoir. Jen aurai. Belle rsolution. Voyons ce qui en adviendra. Toujours la Moy spectatrice qui reprend le dessus. J. 14 juillet. Beau soleil, et jattends toujours mes rsultats. Pour le moment, je ne suis pas prcisment dhumeur joyeuse: hier, jai accompagn au cimetire une de mes ma camarade denfance, au milieu des larmes abondantes de toute lՎmigration russe de Paris. Le soir du jour o jai appris sa mort, Jean mՎcrivait quil tait tuberculeux. Hier jai su que Colette tait admissible sa 1e partie, mais D*** est coll (et on me dira encore que le bac nest pas une loterie). Un autre camarade de Buffon est attaqu au poumon droit par le mal inexorable. Mais quest-ce qui va marriver demain? Probablement mon propre chec. Je rentre la tte dans les paules, comme un oiseau frileux et jattends le choc. Hier jՎtais dsespre davoir le cur si sec. Tout le monde pleurait chaudes larmes, moi, jai peine senti mes yeux se mouiller. Pourtant jՎtais persuade dassister un des dnouements les plus injustes, les plus cruels et les plus atroces qui soient. Je voulais forcer mon motion, me faire entrer dans la tte la signification exacte de la mort, ce jamais plus que jai tant de mal concevoir. Et je narrive pas, justement, la concevoir. Jai le cur suspendu, serr, jai une angoisse qui me serre les mchoires, jai le sang qui bat coups lents et sourds dans mes veines mais je ne peux pas saisir toute lՎtendue de cette horreur qui, dcidment, est accessible toutes ces femmes, sauf moi. Mais je crois que, pour elles, ce sont plutt des considrations indirectes qui les font pleurer (Naturellement, jՎprouve je trouve utile de me justifier en rabaissant les autres) Elles pensent cette fille, tellement plus jeune quelles, et qui les prcde, ce qui leur rappelle que leur tour viendra, quil aurait t beaucoup plus naturel quil vienne avant celui de Tatia. Elles ont pens au chagrin de la mre, leurs propres enfants. Enfin, peut-tre ont-elles la larme particulirement facile. Moi, je ne pleure que dՎnervement. Devant la mort, les grands coups, je ne pleure pas, je suis accable. Quand je me dispute avec mon pre, quand quelque chose magace, je me rpands en larmes pendant dix minutes. Cest une dtente nerveuse. Dans les circonstances qui affectent ma vie intrieure, mes nerfs ne jouent pas. Au contraire, je les domine. Comme cest intressant, ces intimes dtails. Je devrais peut-tre dcrire aussi comment je me comporte quand jai mal aux dents ou la cheville enfle. Aprs ma mort, il est certain que si quelquun tombait sur une confession aussi poignante, dune semblable universalit et dune gnralit si prodigieuse, le cours de son existence en serait modifi. Je me moque des autres femmes; elles soccupent davantage de lHumanit (grand H, nest-ce-pas; il faut bien a aux exaltations de Mademoiselle lIdaliste; a laide se prendre au srieux) que moi, mme aux instants o je hurle sur le trpied de fer, telle la sybille de Cumes la ncessit daimer les hommes. Ce journal dun intrt si prodigieux (un grand document humain, quoi) quaprs lavoir lu, la place de lindiscret descendant qui cela pourrait arriver ( moins que je naie le courage de me dfaire de ma manie de garder les vieux papiers et les vieilles lettres), je ne toucherais plus un livre de mes jours pour ne pas abmer par de la vide littrature mon impression, mon blouissement devant ce gnie observateur de la verrue de la deuxime phalange de son troisime doigt de pied, pourrait sintituler Querelles avec moi-mme. On y assiste damicales disputes, de lgers pugilats et des baisers, des consolations, des flatteries et descriptions tout fait substantielles. Ah, pauvre humanit (cest tonnant, javais oubli quon pouvait crire ce mot avec une minuscule). A prsent le gnie observateur etc .. de son 3e doigt de pied va essayer de sabaisser jusquՈ mettre dans sa puissante mmoire un chapitre dhistoire contemporaine. Malheureusement ledit gnie observateur na rien f de la journe; il tait fatigu, nest-ce pas, il avait la sainte flemme et compte sur sa qualit de gnie pour passer loral en se jouant. Vendredi 22 juin [sic pour juillet] Pass loral: mention assez bien. Huit ans dՎtudes aboutissent ce jour solennel entre tous (je ne men suis gure aperue). Maintenant je suis bachelire es lettres et en novembre tudiante en droit. Heureuse? Oui, surtout fatigue. Et puis, toujours la mme chose, aussitt le but atteint je men dsintresse. Je gmis constamment en cours de route, mais au fond, la conqute seule mintresse, me concentre. Le rsultat atteint est amoindri et mort comme un papillon prisonnier dont les couleurs merveilleuses se rsolvent en poussire sous les doigts. Mais nanmoins, prsent, je suis libre. Oui, libre. Merveilleux son de ce mot! Finies les contraintes secondaires, les cours heures fixes, les surveillantes, les vestiaires. Les trois plus belles annes de ma vie commencent. (si mon pre toutefois ne dploye pas trop??? Quartier latin Samedi 23 Pluie. Envie folle de danser. Raction. Mais pourquoi ce quon pensait tre un si grand bonheur est-il peine une joie? Jespre bien que cette dix-huitime anne sera pour moi belle. B** L*** nous disait hier: Il y a longtemps que jai renonc au bonheur. Mais il a 16 ans, cet enfant-prodige, et vient de rater ?10. on ne renonce jamais au bonheur. Il serait dailleurs profondment stupide dy renoncer; que resterait-il? Le bonheur, si nous donnons ce nom toute plnitude est le but le plus naturel. Je vais bientt commencer Chocs. Il ne faut pas laisser lՎnergie se dgrader par trop dans la paresse. Je suis mre pour cela. Je sens quAlain va emprunter des traits B** L*** et je ne le voudrais pas, parce que cela fausserait le personnage. Mais il me ressemble, et je me laisse influencer par les tres que je rencontre; ou du moins je laisse mes ides sinfluencer par eux. Ce gosse qui me dit, aprs mavoir vu deux fois, des choses quil ne doit pas dire son meilleur ami me ressemble son la moi dil y a un an, ou plutt deux ans, et jai toujours eu des?????? faiblesses pour mes souvenirs denfance. I am Me, you are you, and the others are strangers , ma-t-il dit. Comme il est facile de tromper les tres, mme intelligents. On se croit sincre et lautre aussi vous croit sincre, mais chacun ne connat quun aspect dun tre et ne peut en connatre quun aspect. Il ne peut y avoir deux interprtations identiques dun mme tre. Ceux mmes que nous croyons stables varient prodigieusement. Trois jours aprs on ne retrouve jamais tout fait la mme personnalit. Et puis, on oublie chaque fois le personnage exact quon a incarn pour lautre la fois prcdente; les masques se mlent; ainsi arrive-t-on par hasard saisir une tincelle de la vrit complexe. Mais pour complexe quelle soit, elle reste toujours momentane. La sincrit? Cest de mler le plus possible de personnages, de montrer un aspect le plus synthtique possible de soi-mme, mais est-ce possible? Cest peut-tre pour cela que la vrit ressemble si souvent au plus artificiel des mensonges, et la sincrit une pose insupportable. Jaimerais savoir si B** L** est vraiment intelligent ou si comme R* S** il na que ce faux brillant, ce tour desprit brutal et paradoxal, auquel je me laisse si facilement prendre parce quil correspond certaines de mes tendances. On prend toujours pour de la sincrit ce qui se rapproche de vous, et pour du mensonge ce qui sen loigne. Quand on connat bien quelquun, il est facile de lui paratre vridique. Les hommes ont si peu tendance dire du mal deux-mmes quils croyent sincre tout ce qui est humiliant, alors quau contraire un Rousseau et tant dautres mentent en se dboulonnant leur statue pour prcisment quon leur en lve une (vous voyez quil nՎtait pas aussi corrompu quil la dit quelle humilit!, dit-on sans se rendre compte que cest prcisment la forme la plus subtile de lorgueil, une avarice gardant pour soi ce quon a de meilleur, un triomphe sur la crdulit des autres. On se dit: Ils soccupent de moi sous ce jour tellement dfavorable en croyant que cest mon vrai jour; je vais leur montrer quelque chose qui les dconcerte; ils me croyent diffrent deux, alors quau fond je suis pareil eux, lamentablement mdiocrement pareil.) Quartier latin, BoulMich, rues que jadore, o je me sens chez moi plus quentre mes murs, cafs dans lesquels je massieds au milieu de toute une agitation qui tient la fois de la rcration et de la runion politique, va et vient de figures connues ou qui pourraient lՐtre; cher quartier, chre jeunesse cest l que se prparent nos meilleurs souvenirs. D. 24 juillet Je vais reprendre Chocs ds que je serai un peu rtablie de mon anne de scolarit. Il faut que je me rhabitue vivre avec Alain et Michel, que je me replonge dans latmosphre de la petite maison provinciale qui abrite tant de penses et dՎlans. Je suis sre quAlain ne ressemblera pas B** L**. Dailleurs, pour plus de sret, je nai quՈ revoir trs peu lenfant prodige. Je naime pas les enfants prodiges. Ils sont agaants (lieu commun). Mais ces fruits verts sont amusants manier? Mais moi, dit B**, je suis un enfant prodige normal. Il ma dit quelque chose qui la immdiatement apparent moi: - Je pense beaucoup aux gens que je rencontre. Oui, moi aussi. Toute me humaine ferme mintrigue, et jai une ardeur avide la dcouvrir, louvrir, lexplorer. Mais cela ne dure pas, ou peu; parce que dhabitude javais jug leur me plus complexe quelle ne lest en ralit. Je nai videmment pas la prtention de dcouvrir toute lՉme, mais enfin le ct qui mintressait se trouve souvent peu dvelopp, et je me dtourne de lՐtre. Manie de plumitif au fond, que cette curiosit de nouveaux personnages. Et puis le nouveau excite mon imagination; propos des gens que je connais peu prs, je ne peux imaginer quun nombre limit de choses, et seulement dune certaine sorte, sous peine dinvraisemblance (et dans mes imaginations, si folles soient-elles, jai tout de mme besoin de quelque chose dun peu stable quoi je puisse de temps en temps revenir pour reprendre mon lan et qui est une certaine possibilit, un certain accord entre la pense et le rel, ou du moins le possible. Ma pense nest donc pas absolument dsincarne; en juger daprs ces Messieurs les philosophes je ne verse pas totalement dans le verbalisme). Au contraire, dans en face des tres neufs dont jignore encore les limites (cest malheureusement la premire chose quon aperoit) je peux donner libre cours la folle du logis et tous les espoirs de dcouverte sont permis. Il y a quelques tres qui sont fermement ciments mon me et prs desquels je ne cherche plus que rarement imaginer, comme C**, P**, mon pre, M** S***, J**11 et les autres nexistent ( part les simples relations, naturellement) que dans la mesure o ils alimentent mes vagabondages. Moi, moi, moi quand donc trouverai-je quelque chose de plus passionnant que moi? Et aprs cela, je mՎtonne dՐtre incapable daimer; mais je nen serai jamais capable avec un gotisme (, T de courtoisie) pareil. De ce ct, je vois ce qui arrivera, je me laisserai entraner vers celui qui aimera le plus ma chre petite moi, parce que je lui trouverai une communaut de proccupations avec moi, parce que je me sentirai le plus en scurit avec lui et enfin parce que jaimerai non lui en tant que personne humaine, mais seulement le miroir, le prisme quil prsente de moi; je maimerai. S. 30 juillet Je relis Le cercle de famille comme Denise me ressemble! Mais en mieux. Voil une phrase qui peut paratre insupportablement hypocrite ceux qui savent mon opinion sur moi-mme; et je suis pourtant parfaitement sincre. Cette hrone de roman a sur nous, vivants, lavantage de ne pas devoir commettre dactes mesquins Il est sr quexistante, cette femme en aurait commis Le dsaccord profond entre ma famille12 et moi saccentue terriblement. Il ya non seulement lopposition habituelle entre deux gnrations, mais encore lutte ethnique, rvolte dune individualit contre une race. Je nabats pas seulement les prjugs, mais aussi les croyances et ce quils prenaient pour points dappui. Alors les bases tant autres, il ny a plus de terrain de transaction. Tout cela durera probablement longtemps parce que jai pour mon pre une adoration qui rsiste mme aux pires bouffes de colre. Et puis, le sentiment dun lien organique: je nai queux au monde, puisque ce que je considre comme ma famille se circonscrit eux. Je sens que ce sont les seuls tres auxquels je sois indissolublement lie quoique je fasse; cest pour cela dailleurs que le foss entre nous est si terriblement douloureux. Aprs tout, je leur empoisonne lexistence plusieurs fois par semaine pour quelques quarts dheures: discussions, mots violents, silences hostiles. Mais quimporte? Pour eux comme pour moi, il nest de vie complte quensemble. Dailleurs cela refreine certaines possibilits de ma nature, je le reconnais, cela moblige une certaine hypocrisie au moins dans le comportement et certain sacrifice aux convenances, mais je crois que cest une condition ncessaire de ma vie. Je suis seule ici prs de deux heures du matin dans une chambre mon criture me semble une dentelle. Je pense que je me trompe trs facilement sur les hommes: pas pour longtemps mais avec assez de profondeur pour que cela puisse parfois devenir dangereux. Je suis notamment sujette prendre le brillant intellectuel tal avec un cynisme tranquille pour de lintelligence, de croire ce que disent les gens plus que ce quils font, me confier, surtout, en ma perspicacit enfin me laisser attirer par le mystre, la nouveaut dun tre. Mercredi 3 aot Vie trange, nerfs vif. Je ne suis ni tout fait triste ni de bonne humeur. Assez inexplicable. On opre papa aprs demain. Ce nest pas grave, mais jai peur quil nait peur. Et puis sa pudeur dhomme renferm sera atteinte de ce voisinage dhpital, de ces neuf lits auprs du sien. Mon cahier devient un journal, plus jamais rien dintressant. Je ne vis plus. Reu une lettre de Boegner. 4 aot Le cercle de famille est tout de mme un beau livre, sinon un grand livre Il y a cette atmosphre intellectuelle sans laquelle un roman parvient mal mintresser. Ou bien alors il y a la dtente dun roman policier, ou dun rcit sur le milieu. Mais je ne comprends gure les lourds livres gris sur la province, et ceux qui dcrivent la vie des petites gens sans pense, lՎcole naturaliste mest profondment odieuse. Dailleurs je la connais mal. Au fond jai peur davoir un cerveau bien peu exigeant, qui se satisfait dune apparence dintellectualit sans aller jusquՈ la comprhension vraie. Jaime penser facilement; or leffort intellectuel, lattention vritable, sont seuls fconds. Il se faut contraindre. Je deviendrais facilement une mondaine. Je nai pas trouv mon quilibre, parce que mon enfance net pas de discipline: logis phmres dans lesquels on devait chaque fois reconstruire des apparences de foyer. Il ny a dordre ni dans mes tendances, ni dans mon esprit. Je suis une insatisfaite comme la Denise Herpain du Cercle, mais moi, je ne veux pas me contenter de lamour, mme si je dois y trouver mon quilibre. Je suis persuade quune femme aussi peut arriver trouver sa stabilitintrieure dans autre chose que dans lamour, et mes brusques, mes phmres rsolutions de suivre la norme ne sont que des dfaillances lorsque mes nerfs sont bout. Le tout finalement, cest de ne jamais me trouver dans des circonstances favorables labdication au moment o je dsire abdiquer, par exemple devant un homme qui me plat et me presse. Dautre part, il faut oprer le transfert sensualo-crbral, si jose dire. Sans aucun doute, mon corps est exigeant: raison de plus pour ne pas le satisfaire, car aussitt que je lui rendrai la bride, il me dominera. La loi du moindre effort, doctrine toujours trs sduisante lorsquon la dveloppe, et absurde ds quon y rflchit du moins absurde pour moi. Il y a tant de vrits qui me paraissent relatives: Agis en sorte que la maxime de ton action puisse tre leve en loi universelle la formule de Kant est-elle valable? Je lai cru, et je ne sais plus si je puis y croire. Solitude infinie, gosme profond et je nai pas encore le sens de la divinit. C'est--dire que je suis intellectuellement diste, et que, comme tout tre souffrant, jimplore Saint-Antoine de Padoue ou Dieu ou la Vierge, lorsque jai mal, ou peur (superstition ridicule mais laquelle on sacrifie chaque fois avec larrire pense obscure et purile: on ne sait jamais a ne gte rien, penses dont on a inexprimablement honte par la suite, mais qui viennent, je crois, plus de la chair, cherchant une planche de salut que de lesprit. Personnellement je divise lՐtre en trois parties: la matire, lesprit, et la sensibilit qui les unit, les met en rapport, vivifie la chair, donne un point dappui, un objet la pense. Et celle-ci mme se divise en deux classes: la pense sensible, les ides de Platon, et la pense noumnale, lIde. Je comprends bien que cest un peu primaire et quon peut y faire beaucoup dobjections, mais jessaierai de lՎtayer et de lapprofondir peu peu. La volont, pour moi, est donc quelque chose de ni tout fait crbral ni tout fait charnel. Cest le lien; lesprit commandant la matire, mais aussi la matire transmettant ses dsirs, ses besoins lesprit. La chair force lesprit se tourner vers elle par les dsirs, les tendances, les appels purement physiques aussi qui sont transmis au cerceau par les nerfs sensitifs, comme il est dit dans les manuels de physiologie. La volont est une sorte de compromis entre les jugements et les dsirs, compromis qui seul se manifeste, agit, donc transforme la matire. Ou encore une rsultante: il y a des tres chez lesquels lesprit a une part presque nulle, et mme chez les autres, certains actes sont commands plus directement par la chair, dautres par lesprit. Il y a donc trois plans, mais qui communiquent; Esprit, sensibilit, matire. Malheureusement nous ne pouvons manifester que par le plan sensible, lesprit pur ne sexprimant jamais (mme les mots ne comportent-ils pas une sorte de compromission avec la matire) est difficile connatre et jauger. Il faut essayer de lui laisser un champ plus large, dabord en augmentant sa par [sic] dan s lՎlaboration de la volont, ensuite en cartant pour un temps de plus en plus long toute irruption des plans matriel et sensible dans le plan suprieur. C'est--dire quil faut se rserver des minutes de mditation pure, un oasis dans la journe, o lon fasse justement un effort intellectuellement fcond: dabord en comprenant les doctrines des autres, ensuite en sappliquant en extraire la part lessence et ce qui peut servir dans lՎlaboration de sa propre conception de lunivers. Car on ne peut vivre dans le vague, linstable. Linquitude nest quun instrument de recherche, elle nest pas une fin en soi, dabord ni un tat permanent. Nous autres, Slaves (surtout femmes) avons trop tendance demeurer dans une inquitude vague et ne jamais pouvoir nous rsoudre adopter un parti, nous en tenir quelque chose. Et voil que dj je me rebiffe: sen tenir quelque chose, nest-ce pas rtrcir son univers, accepter un confinement dans le partiel. Je nadmets pas quon se contente dun fragment de vrit et je sais bien pourtant que la vrit totale est inaccessible un seul esprit humain. Cest terrible de ne pas savoir sacrifier. Au fond, je suis dune cupidit gale, sur le plan intellectuel, aux avares les plus extrmes. Je ne sais pas me contenter. Il me faut tout ou rien. Et je finirai peut-tre par me contenter dun ensemble vague, brumant [sic], ce que Boegner qualifie dans sa lettre par ces mots trs justes: Il me semble que votre esprit a besoin de se plier cette soumission lobjet sans laquelle nous nous en tenons des intuitions riches, mais inexprimables et qui finissent par se dissiper sans rien laisser. Il a vu le danger, il me le signale: mais moi aussi je lai vu, mais je nai pas le courage de mastreindre ces exercices de prcision quil me recommande. Bah! Bonne lve, appliquez vous encore un peu. 5 aot. La chose la plus atroce du monde? Voir physiquement souffrir un tre quon aime, lentendre gmir, bless dans sa chair, le corps troubl par une intrusion, tre l et ne rien pouvoir faire, ensuite le savoir seul au milieu dindiffrents. Et sentir son impuissance. Aussitt tous les liens organiques, charnels et affectueux qui vous unissent lui se mettent vibrer si intensment que cest votre chair, et non votre esprit seul qui est oppress. Jai mal votre poitrine, disait Madame de Svign, parole qui rend avec une exactitude dchirante la force qui vous accable. Chaque fois quon entend ou quon imagine un gmissement, les nerfs sՎtirent, puis se tendent brusquement, un frisson parcourt lՎchine dorsale, vous courbe en deux, les paules saffaissent, les penses sen vont. Je ne sais quel mouvement produit trs rellement un froid au cur. Et quand on sait lՐtre aim, sans dfense, abandonn aux soins de mercenaires indiffrents, langoisse sans rpit se mle le remords, le regret, mme lorsquon fut contraint par les circonstances. Les pourquoi, les je naurai pas d affluent et vous submergent, puis langoisse renat, noyant tout. Mais aucun mot napproche de la vrit; ce nest pas de la compassion quon ressent, mais une douleur vritable qui vous prend aux entrailles et vous comprime. On sent en soi un mlange de sentiments humains et dimpulsions purement organiques Cest affreux. Et pourtant on sait bien quil souffre encore plus, que rien napproche en acuit la douleur physique qui annihile lՉme et nous identifie avec des btes malades, dsarmes. Jaime la majest des souffrances humaines Dit Vigny. Il ne parlait certainement pas des douleurs physiques, car elles nen ont point. Elles sont puissantes, et telles quon ne peut les traiter de viles, puisquelles soumettent ce que nous avons de plus noble en nous. 8 aot. Paris lՎt: mtques, provinciaux, figures lasses de gens qui nont plus le courage de supporter leur rclusion. Je pars la mer demain. Alain me devient trs tranger, je ne suis plus dans mon sujet. Et pourtant celui-ci est fcond, certainement. Je pensais (depuis longtemps dailleurs) un roman de femmes damnes. Mais cela ne viendra quaprs. Tous les rcits de la chair sont plus faciles parce que plus facilement pathtiques et dailleurs veillant dans le lecteur des sentiments souvenirs si mles aux sentiments esthtiques quon nen distingue plus. Il faut se mfier des sujets faciles. Qui chantera le cantique de la nuit? La nuit, seule propice aux mditations, aux contemplations, aux examens de conscience. La nuit est minemment chrtienne, car propice favorable aux remords et aux rsolutions. Le jour est accord la vie, la nuit la pense. Dailleurs toutes les grandes douleurs et toutes les grandes joies ont besoin de la nuit pour se dvelopper. Il ny a gure que dans ces heures qui encerclent comme des ondes sur leau quon se sent seul, entit dfinie monade. Les bruits se vengent davoir t touffs le jour, les couleurs sestompent, car elles sont solliciteuses daction et une lumire voulue cre seule un univers ad libitum. Point nest besoin de fermer les yeux pour sabstraire de la vie, teindre la clart devenue dpendante de notre vouloir suffit. La nuit, notre puissance sexalte: non seulement le monde visible est en nos mains, mais encore nos penses attendent une direction intrieure laisses en repos par les ncessits proches. Les Petites Dalles, 10 aot Plage de familles moyennes. Galets, mer verte, temps brumeux. On nage, tennisse, pique-nique, flirte, danse. ---------------------- Ill. 4. Cahier, 10 aot 1932: Les Petites Dalles. * PAGES DU CAHIER Ill. 5. Cahier 21 avril 1932: un chemin fulgurant. Ill. 6. Cahier, 2 mai 1932: esquisse dun conte. Ill. 7. Cahier 12 mai: comme un zeppelin. Ill. 8. Cahier, 19 avril 1932: mon destin de femme. POSTFACE Impressions Claude Mignot revient le mrite davoir transform ce cahier de jeunesse crit la main en un document lisible par tous. Quil en soit chaleureusement remerci. Car voici que sous la lumire crue du projecteur quelle dirige sur elle-mme apparat Dominique alias Anne Persky, jeune fille en apprentissage dans lart de se construire une personnalit et de se constituer un style. Style de pense en mme temps que style de vie. Style dun rapport au monde, attentif, intress et objectif. Ce journal est un prisme rvlateur.Je suis personnellement frappe de retrouver la Dominique que j'ai connue et plusieurs autres insouponnes de moi. Je constate chaque page lempreinte de la volont qu'avait Dominique de ne pas se livrer, de se tenir secrte derrire la personne lgante et curieuse, loquente et chaleureuse, qu'elle offrait ses interlocuteurs. Je dcouvre tout le travail d'auto-ducation quelle accomplissait sur elle avec une persvrance bien plus ttue et obstine que ne l'aurait permis la soi-disant paresse dont elle se plaint parfois. Cest un Livre des erreurs, celles dont il faut dbarrasser le chemin de lapprentissage. Et cest le carnet desquisses dEupalinos13, larchitecte qui ne nglige aucun dtail. Dans sa pice, Valry fait dire Socrate: Jai cherch la justesse dans les penses; afin que, clairement engendres par la considration des choses, elles se changent, comme delles-mmes, dans les actes de mon art. Jai distribu mes attentions; jai refait lordre des problmes; je commence par o je finissais jadis, pour aller un peu plus loin... Je suis avare de rveries, je conois comme si jexcutais. La jeune Anne qui, anime du dsir de voir juste, ne souhaitait quune chose: apprendre penser, a cherch dans les uvres de pense de quoi difier luvre de sa vie. Penser, crit-elle, cest sappliquer les choses quon apprend. Cest pourquoi la connaissance vous fait plus riches que la richesse. Mais penser cest regarder, imaginer, enfin vivre. Ressentir et comprendre tel est limpratif. De nombreuses notations font preuve dun don de lucidit et dune maturit peu commune. Se poster derrire son cerveau, cest le but dAnne. Et aussi bien ce Journal est moins le confident de sentiments ou de plaintes intimes que lobservatoire dune pense en formation. Les mois mmes sont tamiss par le regard jet distance sur eux. Le choix est de Voltaire et Montaigne contre Rousseau et Nietzsche, le romantisme vaincu par le classicisme. Une femme de tte Dominique! Son imagination la sauve de la pulsion se laisser aller des confessions. Par transfert en effet ce sont des personnages fictifs qui vont incarner les facettes que Dominique dissque en elle-mme. Elle a dillustres mentors: Gide et Colette, Les faux- monnayeurs et La naissance du jour, Franois Mauriac aussi et son Dmon de la connaissance. Tandis quelle chafaude le plan et change les pripties de sa nouvelle parait Le cercle de famille dAndr Maurois; elle y voit immdiatement une certaine parent avec le cercle des personnages quelle tente de mettre en scne, car elle sidentifie la Denise de Maurois. En fait, elle se voit comme une hrone de roman. Ce quelle sent et ce quelle pense est faonn par la vie irrelle de personnages romanesques qui crent leur auteur plus que celui-ci ne les cre totalement. Elle veut pour elle-mme cette auto-cration imaginaire et se coule en diffrentes figures selon linstant et lhumeur. Elle sexige crbrale quoiquardente, elle se veut volontaire, absolument, et surtout diffrente rsolument, trange et quelque peu trangre. Libre par dessus tout, cest--dire dtermine par elle seule. Et elle se rvle ambivalente, double, incertaine, comdienne, dilettante, lamentablement superficielle et ambitieuse, en qute de son tre vrai derrire dincessantes fluctuations et pourtant prfrant garder ses illusions lombre delle-mme. Dcide tout de mme se forger un destin de femme ni ordinaire ni obscure. tre par soi plutt que rapporte un homme, un poux. Parfois une vie se dessine dix-huit ans. Il y faut certes une inspiration venue du fond nbuleux daspirations enfantines. Il y faut aussi les faveurs du hasard et la confiance inbranle que dautres placent en votre gnie. Mais plus que tout il y faut une perception dcidment positive de soi dans le monde. Une perception qui permet de sadonner sans remords la recherche de soi. Qui suis-je, que sais-je, que dois-je devenir? Seules questions qui mintressent au fond crit une Dominique fortement ancre, par ailleurs, dans son homognit intrieure, ou du moins dans le ferme vouloir de sa prservation. Double qute. Se chercher dans sa multiple identit pour mieux dcouvrir autrui nigmatique. Et tant que lՎnigme rsiste libre est le cours de limagination qui forge des personnages o la romancire incarne une parcelle de la vrit patiemment et inlassablement arrache soi dans la dcouverte de lautre. Hourya Benis Sinaceur 28 fvrier 2014 Ill. 9. Cahier, 19 mai 1932: faire de soi un chef duvre. * INDEX des noms de personnes Index des lieux (en italiques) Index de ses proches et de ses personnages (en gras) Alain Brovant: dabord prnomm Robert (3 fvrier 1932), hros ponyme du projet de nouvelle esquisse le 3 fvrier et rebaptise Chocs le 20 fvrier. Amiel: 19 avril 1932. Banville (Thodore de): un ciseleur, oppos au crateur Rimbaud (27 avr. 1932). Barrs [Maurice]: citation (30 janv. 1932); un novateur pour vieux messieurs (23 fvr.); jaime de plus en plus Barrs (19 mai). Bataille [Henry]: les pices de (20 fvr. 1932). Bergson: 9 dc. 1931; Mat[ire] et Mmo[ire](4 janv. 1932) ; 7 et 30 janv., 3 et 6 fvr.. Beethoven: Hymne la joie de la 9me (21 avr. 1932). Boegner [Henri]: propos (6 fvrier 1932); lettre reue (3 aot); passage de la lettre (4 aot). B** L***: le jeune prodige, qui se prsente lENS 16 ans (23- 24 juil. 1932). Boris S***: la musique dans sa chambre (21 avril 1932). Bourges Elmir: La Nef drame, 1904-1922 (20 fvrier 1932). Bourget[Paul]: un novateur pour vieux messieurs (23 fvr. 1932). Capoulade: caf du boulevard Saint-Michel. Chardonne Jacques: Claire (3 fvr. 1932). Christ (le): 30 janv. 1932; 6 fvr. Colette: La naissance du jour, 1928 (3 fvr. 1932). Colette: amie admissible la 1re partie du bac (14 juil. 1932), trs certainement Colette Chauffard, lamie denfance de Dominique Desanti. A identifier sans doute avec C**, cite la premire des ʐtres qui sont fermement ciments [son] me (24 juillet). Comte [Auguste]: 10 dc. 1931. Cortambert (rue):chapelle de Dominicaines, en fait la chapelle Notre-Dame du Saint-Sacrement, desservie par la congrgation des servantes du Saint-Sacrement (30 avr. 1932). Cuvillier [Armand]: Prcis de logique et de morale(12 juil. 1932). Fauconnier Henri: Malaisie, prix Goncourt 1930 (19 avr. 1932). Flaubert Gustave: mort dEmma Bovary (10 dc.1931). France [Anatole]: 30 janv. 1932; un novateur pour vieux messieurs (23 fvr. 1932). [Gautier Thophile]: Roman de la momie (27 avr. 1932). Gide: les faux-monnayeurs et Lafcadio(3 fvr.1932, 16 fvr., 22 fvr.); les Nourritures terrestres (20 fvr.); Bernard Profitendieu, personnage des Faux-Monayeurs ( 23 fvr. 1932) Gilbert Varmont (ou Vormont) : nom de plume de Michel Brovant (3 fvr.), pre dAlain, hros de son projet de longue nouvelle intitule Chocs. Goethe: 29 avr. 1932. Huysmans: L-bas(20 fvr. 1932). James [William]: 6 fvrier. J**: Jesseca (Ira/Irne Zyrkine), la mre dAnne Persky (24 juillet). Jean: ami, tuberculeux (14 juil. 1932). Kant [Emmanuel]: 23 avr. 1932; 2 mai. Laforgue Jules: 20 fvr. 1932. Maeterlinck: 20 fvr. 1932. Mallarm (Stphane): 20 fvr. 1932.. Maupassant: 30 avr. 1932. Mauriac Franois: Prsances, roman, 1921; Le dmon de la connaissance, roman, 1928 (3 fvr. 1932); Blaise Pascal et sa sur Jacqueline, 1931 (6 fvrier); 16 fvr.; 28 avril; Maurois Andr: Le cercle de famille, roman, 1932 (20 fvrier); id. et son hrone Denise Herpain (30 juill.; 4 aot); Vie de Disrali, tude historique, 1927 (23 avr. 1932) Michel Borvant, puis Brovant (3 fvr..), alias le romancier Gilbert Varmont (id.) : nom du hros de son roman Chocs Montaigne: Essais (3 fvrier 1932; 29 avr.) Napolon: 29 avr. 1932. Neuilly [sur Seine] : vu comme un village sous la neige (10 fvrier 1932). Nietzsche: Zarathustra; Les origines de la Tragdie (3 fvr. 1932) Papa: Jacques Persky, mon pre (24 juillet 1932); papa (3 aot) Pascal: 2 fvr. 1932; 28 avr. Pguy: 16 mai 1932. Petites Dalles: station balnaire de la cte dAlbtre prs de Fcamp (10 aot 1932) Pierre: son amour de 13 ans, mort prmaturment de la tuberculose (12 juillet 1932) Platon: La Rpublique (6 mars 1932; 21 avr.). Proust: 16 fvr. 1932. Renan: Souvenirs denfance et de jeunesse (9 dc. 1931); citation (10 dc. 1931). [Renard Jules]: Poil de Carotte (23 fvrier 1932). Rimbaud: compar Thodore de Banville, il cre (27 avril) Rostand: Cyrano (20 fvr. 1932; Chanteclerc (30 avr.1932). Rousseau Jean-Jacques: 30 janv. 1932; 6 mars; 23 avr.; 23 juill.. R** S***: garon au faux-brillant St-Pierre: glise St-Pierre de Neuilly (10 fvr. 1932). Schopenhauer: 30 janv. 1932. Svign (Madame de): citation (9 aot 1932) Sils-Maria: le village des Grisons, o Nietzsche sjourna de1881 1888 (3 fvr. 1932) [Stendhal]: Mathilde de la Mole, personnage dans le Rouge et le Noir. Tatia: amie denfance, dorigine russe, morte 19 ans (12-13 juil.1932). Valry Paul: Eupalinos (9 dc. 1931); 2 fvr. 1932; 3 fvr.. Verhaeren [Emile]: 20 fvr.1932. Verlaine: 28 avr. 1932. Vsinet (Le): lgante ville de banlieue; but dune excursion automobile dominicale (15 mai) Vigny: citation (9 aot 1932). Voltaire: 30 janv. 1932. Wagner: vocation tardive (7 janv. 1932). TABLE DES MATIERES PRSENTATION PAR CLAUDE MIGNOT .. p. 3 TRANSCRIPTION DU CAHIER . p. 7 1931 21 nov.: Le livre des erreurs; Apprendre penser; Pensons avec style p. 7 23 nov.: Lattention, lhabitude la plus ncessaire p. 7 9 dc.: Renan et Bergson; les rvolutionnaires: de purils vaniteux... p. 7 10 dc.: Les trois tats de lesprit humain selon Auguste Comte . p. 8 14 dc.: La chair, directrice de lesprit gnrateur .. p. 9 1932 1 janv.: Accueillir lanne en fonant en avant par la pense . p. 9 4 janv.: Ecrire ce qui se passe en soi est fade, facile, peu intressant. p. 9 5 janv.: La vie, le suicide. p. 10 6 janv.: La psychologie la plus orgueilleuse des sciences. . p. 10 7 janv.: Les grands hommes; sentir quon est.. p. 10 30 janv.: La chair et lesprit. Critique de Rousseau. p. 11 2 fvr.: La vie interne, seule, importe. La solitude. .. p. 12 3 fvr.: Claire de Jacques Chardonne. Ma belle flamme de scolarit philosophique sՎteint. Dcontenance par Nietzsche..p. 13 Soir: ide dune nouvelle; premire esquisse. . p. 14 6 fvr.: Le Christ. Le catholicisme, religion des artistes. Je ne comprends pas lathisme..p. 16 10 fvr.: La neige sur Neuilly . p. 17 15 fvr.: Rflexions sur le personnage dAlain, portrait physique ............. p. 18 16 fvr.: Portrait intrieur dAlain.p. 18 20 fvr.: Suite des rflexions sur ses personnages p. 21 22 fvr.: Suite de lintrigue de son roman Chocs. p. 21 23 fvr.: Nouveau plan pour Chocs .p. 26 6 mars: Abandon de Chocs. La Rpublique de Platon. p. 27 17 avril: Bac approche p. 27 19 avril: Mes lucubrations pdantes et maladroites du dbut de lanne me font horreur. Rflexions sur son destin de femme p. 27 21 avril: La force de la musique. Pome en prose Exaltation p. 28 23 avril: Vie de Disrali. La philosophie ma repris puissamment ce soir. p. 29 27 avril: Le Printemps. Ecrire est chose difficile p. 30 28 avril: Rflexion sur elle-mme .. .p. 31 29 avril: 6 heures du matin. Le Moi . p. 32 30 avril: Pas vrai croyante p. 33 2 mai: Obir sa conscience? Esquisse dune courte nouvelle . p. 33 12 mai: Pome en prose, dception amoureuse . p. 34 15 mai: Excursion au Vsinet en auto p. 35 16 mai: Quand cesserai-je de dire moi? p. 35 19 mai: Joie de vivre. Son destin: je voulais tre un gnie . p. 35 12 juillet: Morts et maladies autour delle p. 36 14 juillet: Emotion et pleurs ... p. 37 22 [juill.]: Les trois plus belles annes de ma vie commencentp. 38 23 juillet: B** L*** , le jeune prodige p. 38 24 juillet: Toute me humaine ferme mintrigue p. 39 30 juillet: Le dsaccord avec sa famille p. 40 3 aot: On opre papa demain ... p. 41 4 aot: Rflexions sur elle-mme, la chair et lesprit . p. 41 5 aot: La souffrance des proches p. 43 8 aot: Paris lՎt; roman sur les femmes damnes p. 43 10 aot: Vacances aux Petites Dalles sur la cte dAlbtre . p. 44 ILLUSTRATIONS: PAGES DU CAHIER p. 45 POSTFACE: IMPRESSIONS PAR HOURYA BENIS SINACEUR p. 51 INDEX DES NOMS p. 54 Ill. 10. Cahier, 3 fvrier 1932: Soir. Ide dune nouvelle.. Ill. 11. Cahier, 23 juillet 1932: Quartier latin, BoulMich * 1. Anne Persky, qui est devenue Dominique Desanti, est ne le 31 aot 1914 Moscou. 2 . Lorthographe du nom des personnages ne semble pas dfinitivement fixe. 3. Henri Boegner, agrg de philosophie, fondateur, en 1928, du Cercle Fustel de Coulanges proche de lAction franaise, cousin converti au catholicisme du pasteur Marc Boegner. Le 22 dcembre, le cahier confirme cette identification en rapportant un rendez-vous avec Boegner, o Anne Persky exprime ses doutes sur lavenir du royalisme. 4 . Dans lAnnuaire officiel des abonns au tlphone, Paris, de 1932, Jacques Persky, avocat, est domicili, 102, avenue Klber, mais de sa chambre de lavenue Klber, la jeune Anne ne peut voir ni Neuilly, ni St-Pierre-de-Chaillot. Comme un double lapsus semble improbable, il faut supposer quau dbut de lanne 32, les Persky habitent Neuilly, proximit de Saint-Pierre-de-Neuilly, et quils emmnagent dans le 16e en mars ou avril, en tout cas avant lՎvocation directe de la chambre bleue du 102, avenue Klber le 29 avril, et avant la visite la chapelle de la rue Cortambert le 30 avril. 5. Allusion probable une opration lie ses maux dentaires. 6. Allusion probable des vacances de Pques, dans le Midi, sur la Cte dAzur. 7. Dans Ce que le sicle ma dit (p. 14), Dominique Desanti voque sa chambre peinte dans un bleu que mon pre trouvait outrancier dans lappartement familial avenue Klber. Les Persky ont d y emmnager le 1er mars ou le 1er avril, puisque le 10 fvrier la jeune Anne voit la neige tomber sur Neuilly de la fentre de sa chambre. 8. Il sagit en fait de la chapelle Notre-Dame du Saint-Sacrement, construite en 1900 en face du temple protestant, dont le pasteur est Marc Boegner. La rue Cortambert est 500 m. environ du nouveau domicile des Persky, avenue Klber. 9. Triplepatte, personnage de la comdie ponyme de Tristan Bernard (1906). 10. LEpsilon est sans doute une abrviation pour E.N.S. (Ecole Normale suprieure). 11. C** doit tre son amie denfance ColetteChauffard. J** doit tre sa mre Jesseca, plutt que le Jean qui lui annonce sa tuberculose le 14 juillet. Nous ne savons pas qui pourrait tre P*** ni M** S**. 12. Cest--dire son pre, Jacques Persky, et sa mre Jesseca (Ira/Irne Syrkine), quelle voque plus loin, dans son cahier, le 31 dcembre 1932 (et plus longuement dans leur correspondance pendant la guerre). 13 Eupalinos ou lArchitecte de Paul Valry, invoqu par Dominique le 19 dcembre 1931, fut publi en 1921. --------------- ---------------------------------------- --------------- ---------------------------------------- 17